Perspectives obligataires - T2 2022
Thèmes et implications trimestrielles du pôle mondial obligataire, matières premières et devises
Bob Michele
Synthèse
- Dans le cadre de notre scénario central, nous continuons à tabler sur une croissance supérieure à la tendance, mais avec une probabilité sensiblement réduite de 50 % en raison de la guerre Russie/Ukraine, du durcissement des politiques des banques centrales et des pressions inflationnistes. Les probabilités que nous attribuons à une croissance inférieure à son rythme tendanciel, à une récession et à une crise sont désormais respectivement de 25 %, 15 % et 10 %.
- Bien que la Réserve fédérale semble déterminée à relever ses taux, nous prévoyons désormais une augmentation inférieure de moitié (25 points de base et non 50) à celle que nous attendions précédemment. Les taux devraient prochainement s’établir entre 1,75 % et 2 %.
- Le réajustement des prix sur les marchés nous a permis d’accroître notre niveau de risque, les valorisations étant actuellement trop attractives pour être ignorées.
- Nous envisageons d’accroître notre exposition au risque, tout en privilégiant les titres à courte duration. Nous avons une préférence pour les titres d'entreprise investment grade et à haut rendement et, dans une moindre mesure, pour le crédit titrisé à court terme.
Probabilité des scénarios (%)
Source : J.P. Morgan Asset Management. Opinions en date du 9 mars 2022.
L’année 2022 va initier une longue décennie
Notre Comité d’investissement trimestriel de mars s'est tenu à New York avec la présence physique de tous les participants pour la première fois depuis décembre 2019. Ce fut un plaisir de revoir tout le monde et de discuter de vive voix. Nous avons toutefois évoqué les deux principaux défis auxquels les marchés sont confrontés : les conséquences géopolitiques de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et la perspective d'un resserrement des politiques des banques centrales face à la montée des pressions inflationnistes. Tous les marchés ont connu un réajustement marqué des prix, avec une baisse importante de la valeur des actions et du crédit, alors que les matières premières et les devises refuges se sont inscrites en forte hausse.
Nous avons dû faire un choix : le réajustement était-il suffisant, offrant ainsi l'opportunité d’accroître le risque, ou le choc d'inflation et le durcissement des politiques monétaires nous obligeaient-ils à attendre une nouvelle hausse pour réduire davantage le risque ?
Une fois encore, le consensus était tout sauf unanime. Notre équipe a finalement décidé que cette réévaluation nous donnait l’occasion de renforcer notre exposition au risque, même si nous avons dû ajuster nos prévisions pour refléter la probabilité accrue d’une diminution du risque, y compris celui d’une crise.
En d'autres termes, les valorisations étaient trop attractives pour être ignorées.
Environnement macroéconomique
Si les conséquences désastreuses de la guerre en Europe ont dominé la réunion, la réalité des sanctions et de la flambée des prix des matières premières - alors que l'économie mondiale sortait à peine de la pandémie - a fini par s’imposer. Perturbations des chaînes d'approvisionnement, pénuries de main-d'oeuvre et augmentation rapide des prix des biens et des services, autant de tendances qui étaient déjà présentes avant l’invasion.
Ces problématiques ne pourront être qu'exacerbées par la liste croissante des sanctions imposées à la Russie. Quant à l’économie américaine, elle va probablement connaître une période prolongée marquée par une hausse excessive des prix de l'énergie, des produits agricoles et des produits industriels. L’Europe devrait être la région la plus touchée.
Nous pensons que la croissance européenne va très nettement ralentir, sans pour autant entraîner une récession, sauf si l'approvisionnement en gaz diminue significativement. Pour compenser l'impact de la hausse des prix de l'énergie, nous pensons que les États européens vont intervenir pour absorber en partie l’impact de la hausse des prix des matières premières. Il est également probable que les autorités prennent de nouvelles mesures de relance budgétaire pour répondre à la transition énergétique, aux enjeux de défense et à la crise des réfugiés. Enfin, nous pensons que la Banque centrale européenne fera preuve de patience pour relever ses taux et qu’elle maintiendra plus ou moins sa politique monétaire accommodante.
Toutefois, la Réserve fédérale semble toujours déterminée à relever les siens lors de la prochaine réunion du Comité fédéral de l'open market (FOMC) en mars. Nous nous attendons néanmoins à une hausse de 25 points de base (pb) contre 50 pb précédemment. Les taux se dirigent probablement vers la fourchette 1,75 %-2 %, avec des relèvements de 25 pb à chacune des sept ou huit prochaines réunions. Nous pensons par ailleurs que la réduction du bilan sera annoncée lors de la réunion du FOMC de juillet et qu'elle débutera en août. Ces politiques devraient être bien accueillies par les marchés et reflété la capacité de la Fed à lutter contre l'inflation sans pour autant précipiter un effondrement de l'économie, face au choc des matières premières.
C’est en Chine que les politiques monétaire et budgétaire ont le plus de chance d’être assouplies. Face à la dissipation de l’impact des mesures de confinement prises pour lutter contre la pandémie, les autorités semblent vouloir améliorer la stabilité de la croissance, et non oeuvrer à un désendettement de l’économie. Elles ont déjà pris des mesures visant à soutenir le marché immobilier et à ralentir la croissance du crédit. Hors Chine, les pays émergents devraient enregistrer une croissance proche de 4 % grâce au redémarrage de l’activité dans le sillage de la pandémie.
Prévisions en termes de scénario
L’hypothèse d’une croissance supérieure à la tendance a été réduite de 80 % à 50 %, tandis que les probabilités attribuées aux autres scénarios ont augmenté : croissance inférieure à sa tendance (de 10 % à 25 %), récession (5 % à 15 %) et crise (5 % à 10 %). Il faut reconnaître que le choc sur les prix des matières premières et le resserrement des politiques des banques centrales était un obstacle évident à la croissance de l'économie mondiale.
Il est encore possible pour les responsables des politiques budgétaire et monétaire de cibler leurs mesures et d'orchestrer un atterrissage en douceur, mais la fenêtre d’opportunité se referme progressivement. Si, comme nous le prévoyons, la Réserve fédérale porte le taux des fonds fédéraux à 1,75 %-2 % cette année, à quoi faut-il s’attendre ensuite ? Cela sera-t-il suffisant pour enrayer les pressions inflationnistes ou la Fed devra-t-elle de faire un compromis entre le soutien à la croissance et la stabilité des prix ? D'où une probabilité de 50-50 s’agissant des attentes positives/négatives.
Nous avons également dû reconnaître que la guerre faisait toujours rage et que la situation était susceptible de s'aggraver. Malgré tous les efforts des responsables politiques, la probabilité d’une récession et d’une crise a clairement augmenté.
Risques
Malheureusement, le principal risque reste une escalade du conflit russo-ukrainien. Quelle que soit l’évolution de la situation, les prévisions relatives à l'économie mondial et aux marchés financiers dépendront fortement d'une réponse politique globale.
À plus court terme, le choc des prix des matières premières intervient alors que les marchés du travail et les capacités de production subissent déjà des pressions, les stocks mondiaux de matières premières sont faibles et l'inflation augmente à un rythme inédit depuis le début des années 1980. Une nouvelle accélération soutenue de l'inflation, qui ne se résorberait pas d'ici la fin de l'année, pourrait inciter les banques centrales à durcir davantage leur politique monétaire, ce qui pèserait sur la croissance économique future et pourrait déstabiliser les marchés.
Nous craignions surtout que les banques centrales débutent le processus de normalisation de leur politique - de manière raisonnable - au cours des 12 prochains mois, et que les marchés réagissent positivement. Si la Réserve fédérale parvient à atteindre la fourchette 1,75 %-2 % lors de ses sept prochaines réunions et que l'inflation reste élevée, elle pourrait décider de porter les taux à 3 %-4 %. Un scénario auquel les marchés ne peuvent pas s’attendre.
Autre risque potentiel, il est déjà trop tard : la montée en puissance du choc inflationniste pourrait étouffer la demande finale et une récession pourrait survenir en 2022, et non en 2023 ou plus tard.
Implications en termes de stratégie
Lors des neuf premières semaines de l'année 2022, les prix des actifs publics ont connu un réajustement majeur. Les obligations offrent désormais un rendement global plus élevé en raison de la hausse des taux et de l'élargissement des spreads de crédit. Si le degré d’optimisme de notre scénario central a beaucoup diminué, nous allons chercher à accroître notre prise de risque pour profiter de la correction des cours, tout en optant toujours pour des titres à courte duration.
Nous avons notamment choisi de combiner des obligations d'entreprises à la fois investment grade et à haut rendement. Pour l'heure, les entreprises semblent en capacité d’absorber et de répercuter les hausses de prix sans entraîner un effondrement de leurs marges. S'il est vrai que le secteur bancaire a su résister à la tempête et que la dette bancaire est sous-évaluée, seuls quelques courageux s’y sont exposés.
Le crédit titrisé à court terme a également fait partie des segments privilégiés. Cela s’explique par la faible sensibilité de cette classe d’actifs aux taux d'intérêt, sa structure d'amortissement, son mécanisme de rehaussement du crédit et la bonne situation financière des ménages, malgré un marché du travail tendu.
Conclusions
Les 10 prochains mois vont s’apparenter à une très longue décennie. S'il est facile d’imaginer les conditions d’un atterrissage en douceur, croire qu'il est possible d'y parvenir face à un choc inflationniste et à un durcissement de la politique des banques centrales exige une foi inébranlable. Le redémarrage de l’activité au niveau mondial dans le sillage de la pandémie de COVID-19 finira peut-être par engendrer une demande globale suffisante pour soutenir l’économie. Néanmoins, le moindre réajustement des prix des actifs nous donnera l’occasion de mettre à profit nos recherches approfondies et d’identifier des opportunités pour nos clients.
Probabilités des scénarios et implications en termes d’investissement : T2 2022
Chaque trimestre, les gérants de portefeuille principaux et les spécialistes sectoriels du pôle obligataire, matières premières et devises de J.P. Morgan Asset Management se réunissent afin de formuler notre point de vue commun à l’égard de l’évolution à court terme (sur les trois à six prochains mois) des marchés obligataires.
À l’occasion de ces discussions, nous examinons l’environnement macroéconomique et analysons chaque secteur sur la base de trois principaux facteurs de recherche : les fondamentaux, les valorisations quantitatives et les dynamiques en matière d’offre et de demande. Le tableau figurant à la page suivante synthétise nos prévisions en vue de divers scénarios possibles, notre évaluation de la probabilité de chacun d’entre eux et leurs implications macroéconomiques, financières et de marché.
Source : J.P. Morgan Asset Management. Opinions en date du 9 mars 2022. Les opinions, les estimations, les projections et les prises de position relatives aux tendances des marchés financiers reposant sur les conditions de marché actuelles, nous sont propres et sont susceptibles de changer à tout moment sans préavis. Il n’y a aucune garantie qu’elles se révèlent exactes.