T1 2024 : De la résilience à l’indépendance ?

Synthèse

  • Dans notre scénario central, nous prévoyons une performance de plus de 10 % en 2024 pour l’ensemble des segments de la dette des marchés émergents, la dette en devise locale restant notre segment préféré.

  • Notre scénario central continue à tabler sur une croissance économique inférieure à la tendance, alors que la dette émergente devrait bénéficier de l’augmentation de l’alpha de croissance des pays émergents et de la solidité des fondamentaux

  • Le pic des bons du Trésor américain, dans un contexte de ralentissement des marchés développés, et la stabilité de la croissance chinoise offrent une toile de fond favorable à la performance de la dette émergente.

L’année 2023 s’est révélée favorable aux investisseurs en dette émergente. Les investisseurs exposés à la dette d’entreprise ont enregistré une performance de plus de 8 %, tandis que ceux ayant privilégié la dette souveraine et les obligations en devises locales ont obtenu une performance supérieure à 10 % sur l’année.1 Ces performances sont surprenantes en raison des quatre nouvelles hausses de taux de la Réserve fédérale (Fed), qui sont au plus haut depuis 20 ans, de la récession qui était prévue aux États-Unis, des faillites bancaires et des inquiétudes persistantes suscitées par le secteur l’immobilier chinoise.

Des tendances macroéconomiques favorables

Cependant, l’environnement macroéconomique des pays émergents offre toujours un soutien à la dette émergente. Selon nous, la croissance des pays émergents devrait progresser de 3,9 % en 2024, soit un léger ralentissement par rapport à la progression de 4,3 % en 2023, mais un rythme d’expansion relativement confortable. En outre, nous estimons que l’alpha de croissance des pays émergents (le différentiel de croissance avec les pays développés) continuera à augmenter en 2024 pour atteindre 2,9 %, contre 2,6 % en 2023, sous l’effet du ralentissement continu des pays développés. Cette résilience est imputable aux pays asiatiques, tandis que la croissance va encore ralentir selon nous en l’Amérique latine. S’il se concrétise, cet alpha de croissance de 2,9 % des pays émergents serait le niveau le plus élevé depuis 2013.

Les tendances inflationnistes dans les pays émergents demeurent favorables aux investisseurs en dette émergente. L’inflation globale continue à refluer dans le sillage de la baisse des prix des matières premières, même si l’inflation des services reste supérieure aux moyennes d’avant 2020. L’environnement désinflationniste offre aux banques centrales des pays émergents une bonne marge de manoeuvre pour réduire leur taux. Toutefois, les marchés ont déjà revu à la hausse leurs anticipations de baisse pour 2024 et il est peu probable qu’ils les renforcent encore, à moins d’un choc économique inattendu. Les taux terminaux devraient donc rester supérieurs aux plus bas historiques.

La poursuite de la tendance baissière de l’inflation aux États- Unis est également favorable à la dette émergente en général. Toutefois, si le taux d’inflation américain venait à s’établir à 2,5 %, il pourrait ne pas être suffisamment bas pour que les baisses de taux attendues par le marché aux États-Unis se matérialisent sans une détérioration du marché du travail ou un atterrissage forcé de l’économie. Les investisseurs doivent donc faire preuve de prudence. Cela étant dit, la désinflation dans les pays émergents sera suffisante pour que leurs banques centrales continuent à réduire leurs taux en toute indépendante.

Les perspectives chinoises redeviennent positives

Les marchés se montrent désormais plus optimistes à l’égard de la Chine, avec une croissance économique qui devrait se stabiliser autour de 4,5-5 % en 2024. Les autorités chinoises devraient à nouveau annoncer un objectif de croissance du PIB proche de 5 % pour 2024, après un troisième trimestre solide et l’annonce inattendue de nouvelles mesures de relance budgétaire. Nous pensons que cet objectif est atteignable, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, une éventuelle stabilisation du marché immobilier résidentiel accompagnée de mesures de soutien plus importantes, tant du côté de la demande que de l’offre. Nous tablons également sur des politiques budgétaires plus volontaristes en faveur des investissements en infrastructures et dans l’industrie manufacturière. Enfin, une expansion continue de la consommation si les ménages réduisent leur épargne de précaution.

Selon nous, les politiques du gouvernement chinois sont favorables à la croissance, les mesures de soutien à l’immobilier sont plus efficaces (et devraient stabiliser le secteur), alors que les mesures budgétaires et en matière de crédit assurent un soutien à la croissance (au cas où le secteur privé viendrait à réduire ses dépenses).

Attention aux risques extrêmes

En ce début d’année 2024, notre scénario central prévoit des performances de plus de 10 % pour tous les segments de la dette émergente, et la dette en devise locale reste notre segment préféré. Les investisseurs doivent toutefois rester vigilants et tenir compte des risques extrêmes aux États-Unis. L’idée selon laquelle « la Fed en a fini » (avec ses hausses de taux) a soutenu la dette émergente. Néanmoins, les intervenants de marché pourraient avoir surestimer les baisses de taux pour 2024, en particulier si l’activité économique et l’inflation s’avèrent plus résilientes que prévu.

En revanche, si un scénario de récession devient plus probable, l’aversion au risque pourrait influencer la réaction du marché. La récession est un risque extrême plus probable qu’une croissance supérieure à la tendance, mais l’incertitude demeure quant au calendrier d’un tel scénario. Les spreads de crédit n’intègrent pas du tout ce scénario et pourraient finir par s’élargir. Une telle tendance serait toutefois compensée par l’anticipation d’un rebond des bons du Trésor américain, qui laisserait cependant augurer des performances positives relativement faibles. Concernant les marchés de la dette émergente en devise locale, nous pensons que les banques centrales des pays émergents pourraient réduire leurs taux en cas d’atterrissage brutal. A l’inverse, l’évolution potentielle des devises émergentes par rapport au dollar américain reste très incertaine si le scénario d’« atterrissage en douceur » s’éloigne.

Perspectives des obligations en devises locales

Alors que la Fed a fini de relever ses taux et que l’inflation ralentit, nous pensons que les banques centrales des pays émergents réduiront les leurs en 2024. C’est en tout cas ce dont témoignent les anticipations de marché dans de nombreux pays. En 2023, la désinflation a été un thème central sur les marchés de taux locaux. Les taux réels ont atteint des niveaux élevés car les banques centrales des pays émergents ont rapidement relevé leurs taux directeurs pour lutter contre l’inflation. Les pressions devraient augmenter sur les banques centrales des pays émergents pour réduire leurs taux d’intérêt en 2024, sur fond de ralentissement de la croissance. Après avoir figuré parmi les classes d’actifs obligataires les plus performantes en 2023, la dette émergente devrait enregistrer une performance proche de 11,8 % en 2024, en grande partie grâce au portage.

Nous continuons à privilégier un positionnement long en duration sur les marchés de taux locaux. Nos positions longues favorites concernent les pays où l’inflation va diminuer (République tchèque, Hongrie, Colombie et Turquie) et ceux dont les banques centrales réduiront leurs taux, ce qui ajoute le Mexique et le Brésil à la liste des pays où les taux directeurs réels devraient rester supérieurs à 5 %, même en tenant compte des anticipations de baisse des taux directeurs à un an du marché.

Sur le segment des devises émergentes, on observe un équilibre fragile lors de la transition entre atterrissage en douceur et atterrissage forcé. Nous sommes prudemment optimistes à leur égard et privilégions celles sources de portage comme le MXN, l’INR et le BRL, ou encore celles bénéficiant de perspectives solides comme le PLN et la TRY. Nous prévoyons une approche tactique à l’égard des devises émergentes, en fonction de la rapidité du ralentissement de l’économie américaine.

Perspectives des émissions souveraines

Le spread actuel ajusté des options (OAS) est proche de notre estimation de valeur intrinsèque (environ 400 pb). Toutefois, cela ne doit pas constituer une contrainte étant donné les fondamentaux favorables, à savoir une croissance économique soutenue, une inflation en baisse et une amélioration des perspectives de notation. Il est peu probable que les spreads dépassent les 500 pb, à moins qu’une récession plus brutale ne s’impose dans les anticipations du marché.

Nous pensons que le cycle des notations souveraines s’est inversé et que, pour la première fois en cinq ans, le nombre de révisions à la hausse devrait dépasser les révisions à la baisse. Aucun défaut souverain n’a été enregistré en 2023 et les risques de défaut en 2024 restent concentrés sur les petits pays, qui ne représentent que 1,1 % de l’indice.

Les facteurs techniques auront probablement un impact majeur sur les performances en 2024, l’offre nette devant être légèrement négative. Les émissions devraient augmenter sur le segment investment grade et diminuer sur celui du haut rendement. Ainsi, tout afflux de capitaux dans la classe d’actifs sera probablement un catalyseur puissant de ses performances.

Nous continuons à privilégier les émetteurs de qualité du segment à haut rendement et ceux notés BBB, comme le Paraguay, Oman, le Mexique et le Costa Rica, tout en étant sélectifs vis-à-vis des émetteurs plus risqués bénéficiant de catalyseurs en amélioration, comme la Turquie et la Colombie. Ces positions longues sont compensées par la sous-pondération des émetteurs investment grade dont les spreads sont serrés en Chine, en Malaisie et au Qatar.

Perspectives des obligations d’entreprises

Les fondamentaux des entreprises restent solides, mais les risques de récession imposent une prudence accrue sur le segment à haut rendement. Les taux de croissance des bénéfices devraient se redresser en 2024, mais avec des divergences croissantes sur le plan régional, en faveur de l’Asie et au détriment de l’Amérique latine. Cela dit, toutes les régions, y compris l’Amérique latine, partent d’une situation initiale solide et seront en mesure de faire face aux risques baissiers.

Le risque de baisse des bénéfices est plus prononcé dans les secteurs liés aux matières premières. Toutefois, la classe d’actifs est protégée par un faible niveau d’endettement. Les risques de refinancement semblent gérables pour la plupart des entreprises et les taux de défaut devraient diminuer, même si les taux restent « durablement plus élevés ».

Nous prévoyons toujours une augmentation des charges d’intérêt, mais les cycles d’assouplissement monétaire en 2024 devraient favoriser les entreprises ayant accès à des financements locaux. Ce risque n’a donc rien de systémique et ne concernera que certains émetteurs.

Les mesures de soutien déployées en Chine devraient stimuler la croissance en 2024 et bénéficier notamment aux secteurs des biens de consommation, des médias, de la technologie et des télécommunications.

Toutefois, les incertitudes dans le secteur immobilier, les craintes réglementaires et les risques géopolitiques dissuaderont probablement les investisseurs de se repositionner. Les spreads restent relativement proches de leurs moyennes historiques.

Même s’ils sont moins attractifs, les perspectives plus favorables en matière de croissance des bénéfices, les rendements globaux, les facteurs techniques et la diminution des incertitudes entourant les taux d’intérêt plaident en faveur d’une prise de risque accrue sur le plan tactique. Nous privilégions les titres de qualité présentant un potentiel de valorisation, qu’ils soient investment grade ou à haut rendement et ce toutes régions confondues. Les principales surpondérations portent sur les émetteurs mexicains, émiratis et saoudiens. Nous allons chercher à différencier les émetteurs sur une base individuelle, en particulier parmi les obligations à haut rendement très sous-évaluées à ce stade du cycle. En période de ralentissement économique, les fondamentaux solides valident la stratégie consistant à « acheter sur repli ».

1 Bloomberg : J.P. Morgan Asset Management ; données à fin décembre 2023.
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