Trees in clouds

Synthèse

  • L’immigration vers les États-Unis a fortement augmenté, représentant la majeure partie de la croissance démographique de ces dernières années et probablement l'essentiel de la croissance de l'emploi de ces derniers mois. 
  • La hausse des rendements obligataires de cette année est le reflet d’une croissance plus forte et d’une inflation plus tenace, qui sont probablement dues en partie à l'immigration. La persistance probable de ces effets nous a amenés à supprimer nos surpondérations de la duration.
  • La hausse surprise des chiffres d’inflation de ces derniers mois s’explique en grande partie par des facteurs idiosyncrasiques, dont certains sont influencés par la demande des migrants. À plus long terme, nous estimons toutefois que l’impact de l’immigration sera plus clairement désinflationniste. Il serait difficile pour l'inflation d’accélérer de nouveau fortement en l’absence de pressions significatives sur les salaires découlant d’un marché de l’emploi tendu. 
  • Notre outil interne de suivi de la main d’oeuvre inutilisée dans l’économie américaine (« U.S. Labor Slack Tracker ») montre que le marché de l’emploi est à peine plus tendu qu’il ne l’était en 2019, en raison notamment de la surabondance de l'offre de main-d'oeuvre liée à l'immigration. La réduction des pressions salariales au cours de l’année à venir pourrait permettre de revenir à une politique monétaire moins restrictive, contribuant ainsi à prolonger le cycle économique.

Hausse de l’immigration et marchés financiers

Beaucoup d’aspects de la situation macroéconomique de l’an dernier – vigueur de la croissance, situation mitigée sur le front de l'inflation (atténuation des pressions inflationnistes sous-jacentes, mais persistance des pressions idiosyncrasiques) – peuvent s’expliquer en grande partie par la forte augmentation de l'immigration. Pour les investisseurs multi-actifs, les implications sont importantes.

Les estimations du gouvernement font ressortir l'ampleur de cette hausse de l’immigration. En 2019, le Congressional Budget Office (CBO) des États-Unis prévoyait que l'immigration nette atteindrait 1,0 million de personnes en 2023.Selon ses dernières estimations, l'immigration nette s'élèverait à 3,3 millions de personnes pour 2023, soit 1 % de la population américaine en une seule année.

Ces estimations actualisées s'appuient sur les données primaires du service des douanes et de la protection des frontières, qui montrent que le nombre d’immigrants appréhendés le long de la frontière du sud-ouest a commencéà augmenter au début de 2021. Le rythme s'est accéléré au cours du second semestre 2023, dépassant le chiffre de 300 000 par mois. À titre de comparaison,il était d'environ 60 000 avant le début de la vague actuelle.

La plupart de ces migrants sont placés en liberté conditionnelle aux États-Unis dans l'attente de l’audition de leur demande d'asile, ce qui peut prendre plusieurs années compte tenu d’un arriéré de plus d'un million de dossiers.

Si l’immigration vers les États-Unis s’est accélérée en 2021, pourquoi ne voyons-nous que maintenant ses effets sur l’économie ? Rétrospectivement, elle explique probablement davantage qu’on le pensait auparavant la vigueur de la croissance et la normalisation de l'inflation observées l’an dernier. Certains facteurs sont toutefois susceptibles d’expliquer pourquoi ces effets pourraient être encore plus marqués aujourd'hui.

Tout d'abord, le délai d’obtention des autorisations de travail (comportant un délai obligatoire de six mois) signifie que beaucoup d’arrivants antérieurs, en particulier ceux de l'importante vague du deuxième semestre 2023, sont probablement en train d'entrer sur le marché du travail ou de passer d'un emploi sans papiers à un emploi légal. En outre, sachant que cette offre massive de main-d'oeuvre est généralement moins qualifiée et souvent non anglophone, il est possible qu’elle mette plus longtemps à trouver un emploi. Il faut du temps pour que l'offre de main-d'oeuvre immigrée se diffuse à travers le pays vers les régions dans lesquelles la demande est la moins satisfaite, et pour que les entreprises aient l’opportunité d’en profiter.

L'impact direct le plus évident de cette augmentation de l’immigration est l'accélération de la croissance économique potentielle et de la création d'emplois. La plupart des immigrants veulent travailler ; selon les chiffres du BLS, le taux d'activité des personnes nées à l'étranger a tendance à être supérieur de 4 à 5 % à celui des personnes nées dans le pays. Nous estimons que l'arrivée des immigrants sur le marché de l’emploi a augmenté le rythme actuel d'expansion durable de la masse salariale d'environ 110 000 personnes par mois. L'augmentation du nombre de travailleurs immigrés accroît également la croissance potentielle du PIB d'environ 0,2 % pour cette année.

Pour les marchés, l'autre effet important de l’immigration est l'inflation. Nous estimons que l’incidence à long terme de l'immigration sera principalement désinflationniste, compte tenu de sa contribution à l'offre de main-d'oeuvre. D'ores et déjà, l'augmentation de l'offre de main-d'oeuvre immigrée explique en partie pourquoi le taux de chômage en mars 2024 est supérieur d'environ 0,4 point de pourcentage (pp) à la tendance observée un an plus tôt (malgré une croissance exceptionnellement forte de la masse salariale). Un niveau plus important de ressources inutilisées sur le marché du travail – le « slack » - se traduit par des pressions moins importantes sur les salaires (surtout si ceux des travailleurs immigrés sont inférieurs aux taux en vigueur), ce qui est en fin de compte désinflationniste.

Cependant, les effets de l’immigration ne se limitent pas à l’offre et ne sont pas tous désinflationnistes. Les immigrants alimentent également la demande, ce qui peux faire grimper les prix. Le logement en est un bon exemple : beaucoup d’immigrants travaillent dans la construction et contribueront à terme à l'offre de nouveaux logements, mais ils ont besoin d'un logement dès à présent. La demande de logement résultant de l’immigration, qui représente probablement un tiers du rythme actuel soutenu de 1,5 million d'unités par an, explique probablement pourquoi les taux de vacance restent faibles, les prix du marché continuent de monter alors qu’ils étaient déjà élevés et le taux d’inflation officiel du logement reste si élevé.

De même, chaque nouveau travailleur immigré a besoin de nouveaux outils, ce qui pourrait alimenter la demande de certains biens d'équipement plus rapidement que l'offre ne peut y répondre. Lorsque l'on examine ces déséquilibres entre l'offre et la demande, il faut également se rappeler que les chocs de demande excédentaire ont tendance à faire monter les prix de manière plus importante que les chocs d'offre excédentaire ne les font baisser.

Nous pensons toutefois qu’à plus long terme, à mesure que les marchés s'adapteront, les facteurs liés à l’offre l'emporteront sur les facteurs liés à la demande. Cela s'explique en partie par le fait que de nombreux immigrants rapatrieront probablement une grande partie de leurs revenus dans leur pays d'origine. En outre, les travailleurs migrants faiblement rémunérés pourraient faire baisser les gains de rémunération des autres travailleurs à bas salaire.

Un tableau plus complet du « slack » du marché du travail

Nous estimons que la hausse surprise des chiffres d’inflation s’explique en grande partie par des facteurs idiosyncrasiques, tels que l'augmentation de la demande de logements. Il serait difficile pour l’inflation de repartir franchement à la hausse en l’absence de tensions significatives sur les salaires, ce qui impliquerait un slack peu élevé.

Ce slack est toutefois plus difficile à mesurer à l’heure actuelle. L’immigration a eu, entre autres effets, celui de réduire la précision de certaines statistiques gouvernementales telles que le taux de chômage U-3.

Notre nouvel de suivi de la main d’oeuvre inutilisée dans l’économie américaine (« U.S. Labor Slack Tracker » - figure 1) a pour ambition de dresser un tableau plus complet du taux de participation au marché du travail. Il repose sur 15 indicateurs couvrant le chômage et le sous-emploi, les offres d'emploi, les heures travaillées et les départs volontaires et involontaires (il ne suit pas le rythme des créations d'emplois ni les pressions salariales).

La plupart de ces indicateurs montrent que le slack a légèrement augmenté ces derniers mois (même s’il reste peu élevé). La mesure médiane fait ressortir une tension maximale au 3e trimestre 2022. Depuis lors, malgré une nette progression de l’emploi, le slack a augmenté, atteignant au 4e trimestre 2023 des niveaux comparables à ceux d’avant la pandémie (fin 2019).

Cet éventail plus large d’indicateurs montre également que le marché du travail est un peu moins tendu que ne le suggère le taux de chômage U-3. En particulier, les taux de démissions du rapport JOLTS et les départs volontaires ont chuté ces derniers mois. En outre, les indicateurs de mesure des heures travaillées, y compris les heures supplémentaires dans le secteur manufacturier et la moyenne de l’ensemble des salariés du secteur privé, restent peu élevés, bien qu’ils puissent être influencés par des évolutions structurelles. Tous ces indicateurs montrent qu’il existe probablement un certain niveau de sous-utilisation des ressources sur le marché du travail.

Deux indicateurs semblent aller en sens contraire, mais nous avons des raisons de minimiser leur importance. En premier lieu, l'écart emplois/travailleurs, à savoir le nombre d’emplois réels plus les offres d'emploi JOLTS moins la population active, a nettement augmenté depuis ses points bas de 2022, accusant un décalage surprenant sur d’autres indicateurs. Cependant, la pénurie de main d’oeuvre qu’il sous-entend ne se reflète pas dans d’autres enquêtes.

Deuxièmement, le taux d'activité des hommes « dans la force de l'âge » (25-54 ans) semble également indiquer un marché de l’emploi tendu. Ce taux augmente de manière cyclique lorsque les marchés du travail se tendent, mais il a également connu une tendance séculaire à la baisse depuis les années 1950. Nous pensons que le taux actuel, plutôt que de signaler un resserrement par rapport à une tendance baissière - comme le suppose prudemment notre outil de suivi - indique plutôt que cette tendance séculaire s’est atténuée.

Comme indiqué plus haut, notre outil de suivi montre que le marché du travail américain est à peine plus tendu qu’il ne l’était en 2019. À l'époque, il était relativement tendu par rapport au passé, mais pas autant que cela lorsque l’on considère que la rémunération des travailleurs, mesurée par l'indice du coût de l'emploi (ICE) du BLS, s'établissait à +2,7 % en glissement annuel. Aujourd’hui, malgré l’importante demande de main d’oeuvre, nous estimons qu’il est peu probable que les salaires s’accélèrent tant que le slack se maintient à ses niveaux actuels. Une perturbation soudaine de l'offre de main-d'oeuvre migrante constitue le risque le plus important pour ce point de vue, mais elle semble pe peu probable jusqu’aux élections du mois de novembre.

Implications pour les classes d’actifs

Comment la Réserve fédérale (Fed) est-elle susceptible d’évaluer l'impact de cette immigration ? À court terme, les conséquences de cette immigration vont plutôt dans le sens d’une politique monétaire plus restrictive. La demande des migrants, concernant notamment les biens d’investissement (du logement aux outils de travail), a probablement alimenté les composantes plus idiosyncratiques de l'inflation, loyers par exemple, ainsi que l’accélération de la croissance réelle potentielle. On notera également qu'un besoin accru de financement des biens d’investissement peut contribuer à faire monter le taux d'intérêt naturel (r*).

Dans les prochains mois, ces facteurs idiosyncrasiques devraient toutefois s'estomper, car la surabondance relative de main-d'oeuvre faiblement rémunérée pourrait contribuer à contenir l'inflation des salaires. L'atténuation des pressions inflationnistes sous-jacentes dans un contexte de croissance robuste devrait en fin de compte favoriser un atterrissage en douceur de l’économie américaine, prolongeant ainsi potentiellement le cycle économique actuel. Ce point de vue conforte notre préférence pour les actifs risqués, notamment les actions américaines et le crédit à plus court terme. .

Au bout du compte, la baisse de l'inflation devrait justifier une politique monétaire moins restrictive - nous estimons que la Fed sera en mesure de procéder à une ou deux baisses de taux cette année, à partir du second semestre.

Sachant toutefois que cet assouplissement sera probablement compensé par des taux directeurs neutres plus élevés, nous conservons un avis neutre sur la duration.

En dehors des États-Unis, nous privilégions également les actions japonaises en raison des perspectives de reflation et des réformes de la gouvernance d'entreprise. S’agissant de la duration, nous privilégions une combinaison d’emprunts d'État européens et américains.

Multi-Asset Solutions

L’équipe Multi-Asset Solutions de J.P. Morgan Asset Management gère plus de 269 milliards de dollars d’actifs et s’appuie sur une expertise d’envergure ainsi que sur les capacités d’investissement de J.P. Morgan Asset Management. Notre recherche et nos analyses dans le domaine de l’allocation d’actifs constituent le fondement de notre processus de gestion. Ce dernier est soutenu par une équipe de recherche mondiale composée de plus de 20 professionnels dédiés et représentant plusieurs décennies d’expérience combinée dans un vaste champ de disciplines.

La grille d’allocation de Multi-Asset Solutions est le résultat d’un processus qui intègre :

  • des éclairages qualitatifs, tenant compte des perspectives macrothématiques, des opinions sur le cycle économique, et des opportunités de marché tant
  • systématiques que spécifiques, une analyse quantitative qui considère les inefficiences du marché, des modèles intra et interclasses d’actifs, ainsi que des stratégies de valeur relative et directionnelles,
  • des réunions consacrées à la stratégie et un dialogue continu entre les équipes de recherche et d’investissement. Ces échanges leur permettent d’échanger, d’élaborer et de tester les vues de la société en matière d’allocation d’actifs.

Au 31 mars 2024.

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