Malgré cette volatilité, nous ne devons pas perdre de vue la protection contre le risque de baisse que nous offrent les obligations si l’attention se porte à nouveau sur le risque de récession.
Les marchés obligataires souverains sont tiraillés entre des scénarios contradictoires depuis plusieurs trimestres. Lorsque les craintes de récession prennent le dessus, les rendements obligataires reculent, les investisseurs anticipant un assouplissement monétaire plus marqué. Cependant, lorsque l’attention du marché se détourne des risques de ralentissement de la croissance pour se concentrer sur les risques de hausse de l’inflation, peutêtre grâce à l’assouplissement budgétaire, la tendance des rendements obligataires s’inverse. Le résultat net de ces facteurs contradictoires est une fluctuation des rendements obligataires d’État dans une fourchette de 3,5 % à 5 % au cours des deux dernières années aux États-Unis et au Royaume-Uni, et entre 2 % et 3 % dans la zone euro (cf. Graphique 17). Il s’agit là d’une volatilité plus importante que ce à quoi nous pourrions nous attendre de la part de nos principaux actifs « sans risque ».
À l’avenir, nous pensons que cette volatilité persistera en partie, mais nous continuons de croire que les obligations core ont leur place dans la composition d’un portefeuille, car elles offrent des revenus et une protection contre le risque de baisse.
Au moment de la rédaction de ce rapport, les rendements se situent dans la partie haute de la fourchette évoquée, les marchés se concentrant sur le plan budgétaire en cours d’examen au Congrès et sur les perspectives quelque peu inquiétantes concernant l’évolution de la dette fédérale. Savoir s’il faut acheter des obligations dans un monde où les gouvernements ne semblent pas se soucier de la dette est une question clé qui nous est fréquemment posée.
C’est une question compréhensible. Dans sa forme actuelle, le projet de loi budgétaire américain devrait alourdir la dette publique d’environ 2 400 milliards de dollars, en s’ajoutant aux 21 000 milliards d’emprunts déjà prévus sur les dix prochaines années. Afin d’éviter un chiffre encore plus important, le projet de loi prévoit des réductions de dépenses différées et classe bon nombre des réductions d’impôts comme temporaires. L’expérience de la loi sur les réductions d’impôts et l’emploi de 2017 soulève des doutes quant à la possibilité que ces réductions d’impôts temporaires soient réellement supprimées à terme, tandis que d’autres s’interrogent sur la faisabilité politique des réductions de dépenses prévues pour les années à venir dans des domaines tels que l’assurance maladie.
Toutefois, nous pensons qu’il sera difficile pour les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans de dépasser durablement les 5 % sans provoquer de perturbations macroéconomiques importantes. Les taux hypothécaires américains étant déjà proches de leurs niveaux les plus élevés depuis 2002, nous nous attendions à ce que des rendements nettement plus élevés entraînent un resserrement des conditions financières, ce qui ralentirait l’économie à terme (cf. Graphique 18). Des rendements plus élevés pourraient également provoquer une forte baisse des cours des actions et, compte tenu du lien étroit entre le niveau du S&P 500 et la confiance des consommateurs, la croissance économique pourrait subir un nouveau coup dur en raison de la baisse des dépenses de consommation.
Même si cela peut sembler inconfortable, nous suggérons donc de privilégier la duration lorsque les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans se rapprochent de 5 %.
Malgré cette volatilité, nous ne devons pas perdre de vue la protection contre le risque de baisse que nous offrent les obligations si l’attention se porte à nouveau sur le risque de récession. Le fléchissement du marché du travail serait le catalyseur le plus probable d’une baisse significative des rendements. La croissance persistante des salaires dans de nombreux marchés développés a été un facteur important de l’inflation persistante des services post-pandémie. Pour que les banques centrales soient davantage convaincues que les risques haussiers d’inflation sont contrebalancés par une baisse de la demande, il faudra probablement une hausse significative du chômage.
Si ce scénario de baisse de la croissance se concrétise, il est important de savoir que la Réserve fédérale (et d’autres banques centrales) a la possibilité de procéder à des baisses plus marquées que celles anticipées par le marché. Même si les rendements des obligations à longue échéance baissent moins que lors des cycles de baisse précédents, ils devraient tout de même surperformer le rendement total des obligations à court terme dans ce scénario. La capacité des obligations à diversifier le portefeuille en cas de choc de croissance reste donc intacte et constitue un atout majeur dans un contexte multi-actifs (cf. Graphique 19).
Si nous voyons des raisons de trouver la duration attrayante lorsque le bon du Trésor américain à 10 ans approche les 5 %, nous pensons qu’il devrait y avoir une limite inférieure aux rendements en dessous de laquelle les obligations perdent leur attrait. Une inflation plus volatile dans un contexte de démondialisation, une politique budgétaire plus active et des changements dans la structure du marché obligataire sont autant de raisons qui, selon nous, justifient que la prime à terme (la rémunération supplémentaire exigée par les investisseurs pour le risque lié à la détention d’obligations à longue échéance) soit beaucoup plus élevée qu’au cours de la dernière décennie (cf. Graphique 20). Des questions se posent également quant à l’attrait des obligations d’État en tant qu’actifs refuges, puisque la corrélation entre les actions et les obligations n’est plus systématiquement négative.
Si les obligations d’État d’autres régions du monde ne devraient pas se détacher complètement des bons du Trésor américain, nous pensons que certains marchés obligataires hors des États-Unis devraient connaître une volatilité plus modérée au cours de l’année à venir. Les Gilts sont sans doute les mieux placés, compte tenu d’un contexte de croissance relativement faible et d’un gouvernement britannique beaucoup plus limité par ses propres règles budgétaires. Nous sommes beaucoup plus prudents quant aux perspectives des obligations du Japon, où une amélioration soutenue de la croissance des salaires a poussé l’inflation au-dessus de l’objectif et où les marchés n’ont toujours pas intégré de resserrement significatif de la politique monétaire.
Les obligations souveraines de la zone euro occupent une position intermédiaire : l’inflation y est bien moins préoccupante pour la Banque centrale européenne, mais l’offre d’obligations devrait s’accélérer pour financer les nouvelles dépenses budgétaires. Pour les investisseurs européens, le choix entre les bons du Trésor américain et les obligations souveraines en euros est plus susceptible d’être influencé par les considérations de couverture du risque de change que nous avons expliquées dans notre chapitre sur le dollar américain.