Synthèse
- Selon notre scénario de base, l’économie américaine continuera à se rééquilibrer cette année, en évitant la récession. Nous prévoyons donc un atterrissage en douceur.
- La croissance économique américaine s’est montrée résiliente et la désinflation n’est pas linéaire.
- Un assouplissement monétaire est en vue, mais son ampleur et son calendrier restent incertains.
- Sachant que la volatilité des taux reste élevée, nous sommes conscients qu’il existe des risques dans les deux sens sur la duration.
- Les actions américaines ont affiché d’excellentes performances jusqu’à présent ; nous continuons de privilégier les grandes capitalisations par rapport aux petites capitalisations.
Inflation persistante ou atterrissage en douceur ?
La croissance économique américaine a été plus vigoureuse que prévu ces derniers mois : les chiffres du second semestre de 2023 étaient tous supérieurs à la tendance, tandis que ceux de T1 2024 frôlent les 3 %, selon le modèle GDPnow de la Federal Reserve Bank d’Atlanta. Si en 2023, cette croissance solide s’est accompagnée d’une désinflation relativement régulière, cette dynamique pourrait être remise en question pour l’avenir.
C’est l’amélioration des conditions de l’offre, entre autres facteurs, qui a permis à cette combinaison inhabituelle de croissance supérieure à la tendance et d’inflation en baisse de s’installer. Les difficultés liées à l’offre ont commencé pendant la pandémie, lorsque les chaînes d’approvisionnement se sont interrompues et que la croissance de la main-d’œuvre a subi des pressions. Ces problèmes se sont progressivement résorbés. L’année dernière, les chaînes d’approvisionnement ont continué à se rétablir, comme en atteste la désinflation des prix des biens, tandis que la participation au marché du travail et l’immigration ont augmenté. Associées au ton plus conciliant adopté par la Réserve fédérale en décembre, ces évolutions ont alimenté un solide « rallye » des marchés boursiers au quatrième trimestre : les taux obligataires ont chuté tandis que les actions poursuivaient leur hausse.
Notre scénario de base reste celui d’un rééquilibrage (atterrissage en douceur) pour cette année. Le récent rallye des marchés était tout à fait logique quand on pouvait penser qu’un environnement de type « Boucle d’Or » (croissance supérieure à la tendance et inflation en cours de normalisation) était en train d’émerger. Cependant, les chiffes plus élevés que prévu du mois de janvier en matière d’emploi et d’inflation sont venus remettre en question ce scénario, nous rappelant que les variables économiques et financières évoluent rarement de façon linéaire.
Faut-il vraiment s’inquiéter d’une persistance de l’inflation ? Bien que ce soit un scénario possible, nous pensons qu’il est peu probable. Le principal problème est le risque que le faible niveau de ressources inutilisées sur le marché de l’emploi (le « slack ») pousse l’inflation à se stabiliser au-dessus de l’objectif. Les marchés ont clairement sousévalué ce risque, comme le montre la hausse des taux et la baisse des actions de la semaine dernière. Nous guettons par conséquent une nouvelle amélioration du côté de l’offre, à savoir une augmentation de l’offre de main-d’œuvre ou de la productivité, ou, au contraire, un ralentissement de la croissance de l’économie et de l’emploi : l’une ou l’autre de ces évolutions permettrait d’y voir plus clair sur l’orientation générale de l’économie américaine pour l’année à venir.
Baisses de taux : qui et quand ?
Si les acteurs du marché ont revu à la baisse l’ampleur probable de l’assouplissement à venir des politiques monétaires, nous nous attendons toujours à un cycle d’assouplissement relativement synchronisé au niveau mondial, même en cas de fluctuation des chiffres d’inflation. Il est important de se rappeler qu’une évolution à la baisse de l’inflation est synonyme de hausse des taux directeurs réels si les taux nominaux ne changent pas. Sachant que les taux réels des fonds fédéraux se situent aujourd’hui à leur plus haut niveau depuis 2006, et que le résumé des projections économiques du Federal Open Market Committee (FOMC) mentionne une fourchette cible de taux réels de 2 % à 2,5 %, il semble encore raisonnable de s’attendre à un léger assouplissement de la part de la Réserve fédérale en 2024.
En dehors des États-Unis, on peut penser que la Banque centrale européenne (BCE) se rapproche d’un cycle d’assouplissement en raison du ralentissement de la croissance et du recul de l’inflation. En revanche, les chiffres de croissance et d’inflation du Royaume-Uni laissent à penser que la Banque d’Angleterre pourrait être un peu à la traîne. Au Japon, les derniers chiffres de PIB ont remis en cause le point de vue de la Banque du Japon selon lequel la demande intérieure avait été forte jusqu’à la fin de l’année 2023. Les implications pour la trajectoire de normalisation de sa politique monétaire semblent toutefois limitées, et nous continuons de penser que la Banque du Japon abandonnera sa politique de taux d’intérêt négatifs et supprimera le contrôle de la courbe des taux lors de sa réunion du mois d’avril.
Les banques centrales abaisseront leurs taux, mais peut-être pas aussi rapidement que prévu. Nous conservons par conséquent un avis favorable à la duration dans la perspective de cet assouplissement. Surtout, les obligations européennes apparaissent de plus en plus attrayantes en raison de l’amélioration des valorisations, et le seront encore plus si le calendrier de l’assouplissement de la BCE suit à peu près celui de la Fed.
En ce qui concerne les devises, le dollar américain semble pris en tenaille entre l’exceptionnalisme américain, qui soutient l’USD, et les différentiels de taux, qui commencent à le pousser vers le bas. Même si nous pensons toujours que la monnaie américaine est surévaluée et a besoin de baisser à plus long terme, il faudrait une reprise plus convaincante de la croissance en Europe et en Chine pour qu’elle affiche une nette tendance baissière.
Approches tactiques face à l’enthousiasme haussier
Suite à cette évolution de l’équilibre des risques liés à la croissance et à l’inflation, les marchés d’actions ont décroché des sommets historiques qu’ils avaient atteint en début d’année. Nous continuons de penser que le S&P 500 se négociera aux alentours de 5100 à la fin de l’année, tout en étant conscients que l’émergence possible d’un scénario de type « Boucle d’Or » pourrait offrir un potentiel de hausse supplémentaire.
À court terme, en l’absence de changement dans les fondamentaux sous-jacents, une hausse des actions reposerait probablement sur des considérations techniques. Prenons le cas des valorisations : le ratio cours/bénéfice à terme du S&P 500 à pondération égale est presque revenu à son niveau d’avant le COVID et est inférieur d’environ 8 % à ses points hauts antérieurs. En outre, le ratio C/B à terme des 7 Magnifiques semble raisonnable par rapport aux fondamentaux sous-jacents de ces sociétés. Par conséquent, le principal risque à la hausse pour nos prévisions de valorisation pourrait provenir d’une accélération de l’adoption de l’IA ou de l’adhésion des investisseurs au scénario « Boucle d’Or ».
L’autre risque à la hausse pour les cours des actions est lié aux résultats des entreprises, et plus spécifiquement aux marges bénéficiaires. Les résultats de T4 2023 sont venus conforter nos prévisions positives pour les bénéfices des entreprises en 2024. On notera toutefois que nos estimations restent inférieures à celles du consensus.
Nous nous attendons à ce que les estimations du consensus diminuent cette année, conformément aux tendances antérieures. L’ampleur de cette diminution dépendra toutefois de l’évolution des marges bénéficiaires. Le consensus prévoit une augmentation des marges de près de 50 points de base cette année, ce qui se traduirait par une augmentation de 5 % de la croissance du bénéfice par action (BPA). De notre côté, nous ne prévoyons pas d’augmentation significative des marges pour cette année (figure 1). S’il s’avérait toutefois que les entreprises arrivaient non seulement à défendre leurs marges, mais aussi à les augmenter, nous réviserions à la hausse nos prévisions de bénéfices et nos cibles de prix pour 2024.
Sauf amélioration des fondamentaux, cela devient toutefois un marché à exploiter. Les indicateurs techniques sont mitigés, mais il faut les considérer dans un contexte qui reste globalement favorable à court terme sur le plan fondamental. Nous conservons par conséquent un avis positif sur les grandes capitalisations américaines en raison de leur qualité supérieure et, dans certains cas, de leur capacité à générer des flux de trésorerie plus importants.
Implications pour l’allocation d’actifs
Notre scénario de base continue d’anticiper un atterrissage en douceur, dans le cadre duquel la croissance économique se ralentit progressivement pour revenir vers sa tendance à long terme, tandis que l’inflation se modère vers des niveaux plus compatibles avec le mandat de la Fed. Nous estimons que cet environnement devrait permettre au FOMC d’abaisser ses taux cette année, même si l’ampleur de cette baisse reste sujette à discussion.
La combinaison d’une croissance plus lente, d’une inflation plus modérée et de taux plus bas continue de justifier notre préférence pour les grandes capitalisations américaines et le crédit de qualité à échéances plus courtes. Les actions japonaises apparaissent également attrayantes en raison des perspectives de reflation et de la réforme de la gouvernance des entreprises. Aux niveaux actuels, nous exprimons notre point de vue sur la duration à travers une combinaison d’obligations d’État européennes et américaines. Sachant que la volatilité des taux reste élevée, nous sommes conscients qu’il existe des risques dans les deux sens sur la duration. À court terme, cependant, nous considérons la duration plus comme un élément d’un positionnement axé sur le maintien d’une corrélation positive entre actions et obligations, que comme une couverture contre un ralentissement brutal de la croissance.