« America First » : bientôt près de chez vous !
Le programme « America first » (« l'Amérique d'abord ») se reflète dans quasiment toutes les décisions de la nouvelle administration américaine, mais il est notoirement absent de la performance des actions américaines sur les deux premiers mois de l’année. À ce jour, l’indice S&P 500 s’inscrit en hausse de 1,3 %, tandis que les pays menacés par les droits de douane américains s’en sortent plutôt mieux : l’indice de la bourse canadienne est en hausse de 2,4 % depuis le début de l’année, celui du Mexique de 8,8 %, celui de la Chine de 17,6 % et celui de l’Europe de 12,1 %.
La situation est différente sur les marchés obligataires : les taux des bons du Trésor américain (UST) à 10 ans sont en baisse de 32 points de base (bps) depuis le début de l’année, alors que ceux des obligations d’État de la Chine et de l’Allemagne sont en hausse de respectivement 7 bps et 11 bps. L’indice des UST à 10 ans surperforme ainsi ses équivalents chinois et européen de près de 250 points de base en 2025.
Cette surperformance des marchés d’actions hors États-Unis a été attribuée à une réduction de leur décote par rapport aux actions américaines. La surperformance des obligations américaines apparaît toutefois en contradiction avec, d’une part, les prévisions de croissance relative entre les ÉtatsUnis, la Chine et l’Europe et, d’autre part, le contexte monétaire. Nous nous attendons par conséquent à ce que la surperformance initiale des actions internationales par rapport aux valeurs américaines s’estompe au cours de l’année.
En parallèle, la ralentissement progressif de la croissance américaine en direction de son niveau tendanciel de 2 %, associé au risque d’événements budgétaires aux États-Unis comme à l’étranger, engendre des opportunités intéressantes de valeur relative.
Quelles perspectives pour les actifs chinois ?
Il peut sembler incongru que le pays le plus directement visé par les menaces tarifaires américaines caracole en tête des performances boursières de ce début d’année, mais c’est probablement parce que beaucoup de mauvaises nouvelles sont déjà intégrées dans les cours de ce marché malaimé. La reprise de 2025 est très liée à la technologie : l’annonce du lancement d’un modèle d’IA apparemment révolutionnaire par la start-up chinoise Deepseek a été un catalyseur important. Au sein de l’indice Hang Seng (HSI) de Hong Kong, qui contient près de 40 % de valeurs liées à la technologie, le secteur s’est apprécié de près de 30 % depuis le début de l’année. Il s’agit d’une tendance liée aux valorisations : à 10,6, le coefficient de capitalisation (P/E) du HSI s’est désormais rapproché de sa moyenne des dix dernières années.
L’espoir que ce redressement des valorisations se transforme en tendance durable alimentée par la croissance des bénéfices est probablement futile. Les prévisions de croissance du BPA pour l’indice HSI, qui s’établissent à 5 % pour 2025 selon le consensus, sont modestes mais conformes à une situation économique plutôt morose. La croissance du PIB chinois devrait passer de 5,7 % en 2024 à 4,1 % en 2025. Nous nous attendons également à un assouplissement monétaire important pour compenser l’impact attendu des droits de douane.
Il y aura probablement des mesures de soutien budgétaire, le déficit budgétaire de la Chine devant augmenter de 100 bps en 2025 pour atteindre 4 %. Bien que la politique de la Banque populaire de Chine (BoPC) demeurera probablement accommodante, la Chine est confrontée à la désinflation. Même avec un taux de prise en pension à 7 jours d’à peine 1,5 %, nous estimons que l’IPC chinois ne dépassera pas 0,3 % au 4ème trimestre 2025, ce qui correspond à un taux d'intérêt réel supérieur à 100 bps en 2025 - ce qui n'est guère stimulant, compte tenu des facteurs externes auxquels la Chine est confrontée.
Notre instinct nous pousse à prendre des bénéfices sur les actions chinoises. En cas d’assouplissement plus agressif de la BoPC (surtout s’il était associé à de nouvelles mesures de relance budgétaire), les actions chinoises pourraient offrir un potentiel de hausse supplémentaire. Mais à l’heure actuelle, la perspective d’un déplacement des menaces tarifaires de Bruxelles vers Pékin constitue un facteur défavorable.
En revanche, le recul récent des taux chinois pourrait offrir un point d’entrée. Sur le plan économique, la Chine présente une combinaison de facteurs peu attrayants : main d’œuvre vieillissante, taux élevé d’épargne personnelle, capacités excédentaires et taux réels positifs. Certes, les taux à 10 ans peuvent sembler peu élevés à 1,8 %, mais c’est un scénario que nous avons déjà connu.
Il suffit de revenir 25 ans en arrière pour observer le Japon sur la période allant de février 2000 à l’aube de l’Abenomics1 fin 2012 : pendant ces douze années, l’IPC moyen du Japon était de -0,3 %, ce qui fait que même avec des taux directeurs proches de zéro, le taux réel s’élevait en moyenne à presque +50 bps alors que la croissance économique se contractait de près de 50 bps par an. En février 2000, les taux des obligations d’État japonaises (JGB) à 10 ans étaient proches du niveau actuel des taux chinois à 10 ans. Au cours des douze années qui ont suivi, l’indice JGB à 10 ans a augmenté de 44 %, affichant des rendements réels annualisés de 3,5 %.
Europe : un équilibre des risques qui pose question
Les actions européennes ont elles aussi connu un bon début d’année. Nous estimons toutefois qu’il ne s’agit pas d’un simple effet de rattrapage provenant d’un indice « bon marché ». S’il est vrai que par rapport au S&P 500, l’Europe était bon marché, les autres marchés l’étaient aussi. Le P/E de l’indice Euro Stoxx 50 a commencé l’année à 14,1, 50 bps au-dessus de sa moyenne sur 5 ans, pour atteindre 15,7 à fin février. Plus révélateur encore, l’écart de valorisation entre l’action médiane du S&P 500 et celle de l’indice européen est à son plus bas niveau depuis la pandémie (figure 1). Pour que les actions européennes continuent sur leur lancée, il faudrait que les bénéfices augmentent, mais les perspectives sont plutôt sombres de ce côté.
Les menaces tarifaires compliquent la donne, comme pour la Chine. S’y ajoute le bouleversement profond du partenariat militaire stratégique de l’Europe avec les États-Unis. Du point de vue chinois, les négociations tarifaires sont avant tout transactionnelles, mais du côté de l’Europe, la combinaison des menaces tarifaires et de la remise en cause des relations avec les États-Unis prend un aspect plus fondamental.
Nous prévoyons une hausse de 0,8 % du PIB européen en 2025, mais avec des risques dans les deux sens. La mise en place de droits de douane de 4 à 5 % enlèverait 50 bps sur l’année, tandis qu’un cessezle-feu en Ukraine pourrait ajouter 50 à 100 bps sur trois ans. Il existe également un risque haussier lié à la réponse européenne aux pourparlers de Washington avec Moscou et aux discussions plus larges sur l’investissement de l’Europe dans sa propre sécurité – surtout dans le contexte du résultat des élections allemandes.
L’amélioration du sentiment des investisseurs à l’égard de l’Europe s’explique par l’espoir d’une expansion budgétaire et d’une résolution du conflit ukrainien. À court terme, nous pensons que les actions européennes sous-estiment les risques liés à ces deux questions. Nous considérons également que les investisseurs font preuve d’un excès d’optimisme quant aux perspectives de croissance européennes. À plus long terme, toutefois, la proposition du futur chancelier allemand, Friedrich Merz, visant à relâcher le « frein à l’endettement »2 pour assouplir les règles budgétaires avant le nouveau parlement allemand du 25 mars représente un risque haussier significatif.
Si le résultat des élections fédérales allemandes devrait se traduire par une coalition plus simple entre deux partenaires de centre-droit et centre-gauche, les partis d’extrême-gauche et d’extrême-droite devraient arriver au Bundestag avec une représentation suffisante pour disposer d’une minorité de blocage sur les changements constitutionnels – y compris le frein à l’endettement. La composition actuelle du Bundestag ne présente pas de minorité de blocage. En conséquence, un assouplissement du frein à l’endettement en vue d’augmenter les dépenses militaires et l’investissement intérieur apparaît plus plausible, tout au moins en théorie.
L’augmentation des dépenses militaires européennes redonnerait du poids à l’Europe dans les négociations de sécurité en cours et pourrait déboucher sur des conditions de cessez-le-feu plus favorables à l’Europe et à l’Ukraine. Elle pourrait également stimuler la croissance de l’Allemagne, cœur industriel de l’Europe, après deux années de baisse. Alors que les actions internationales sont confrontées à des vents contraires saisonniers, allant des échéances fiscales américaines aux signes d’essoufflement dans le commerce de détail et les flux systématiques, la perspective qu’un tel pari politique se matérialise pourrait ne pas stimuler tout de suite les actions européennes. Elle présente toutefois un risque haussier pour la croissance européenne d’ici la fin de l’année.
Implications pour l’investissement
À court terme, nous pensons que les obligations des pays centraux de l’Europe sont les plus susceptibles de rebondir. Nous estimons que les taux directeurs de la BCE devraient passer en dessous de 2 % d’ici l’été, à mesure que le processus de désinflation s’enracinera, mais le marché n’est pas du même avis. La perspective d’une augmentation des dépenses publiques a amplifié la pression haussière sur les taux européens, alors que nous estimons que la modération salariale devrait favoriser la désinflation et accélérer le cycle d’assouplissement (figure 2). Ces facteurs nous incitent à privilégier les produits de taux au sein de la zone euro.
Pour résumer, la surperformance des actions nonaméricaines par rapport au S&P 500 pourrait être en train de s’essouffler, tout comme la sous-performance des obligations non-américaines par rapport aux bons du Trésor américain. À court terme, nous nous attendons à une certaine consolidation des actifs risqués à mesure que la croissance américaine se rapprochera de son niveau tendanciel, ce qui signifie que les gagnants du début de l’année pourraient perdre une partie de leurs gains.
À court terme, les marchés obligataires non-américains surestiment la croissance régionale et sous-estiment la désinflation locale. De leur côté, les actions nonaméricaines ont comblé l’écart de valorisation avec les États-Unis, mais leurs perspectives de bénéfices restent mitigées. Nous préférons par conséquent ne pas chasser ces marchés, estimant que les perspectives de bénéfices des actions américaines restent meilleures, sauf si (ou jusqu’à ce que) nous observions une véritable expansion budgétaire en Europe ou un assouplissement monétaire significatif en Chine.