Synthèse

  • La probabilité d’un atterrissage en douceur de l’économie dans les pays développés a augmenté depuis le dernier trimestre. Si ce scénario se concrétise, les marchés émergents pourraient générer des performances solides, proches de 7-8 %, voire supérieures à 10 %, sur l’ensemble de l’année.
  • En règle générale, les actifs des marchés émergents se comportent bien lorsque la Réserve fédérale (Fed) réduit ses taux d’intérêt. Et même en cas de récession aux États-Unis, les performances des marchés émergents devraient être positives grâce au rebond de la duration.
  • La croissance des pays émergents devrait rester stable à 4,2 % en 2025. L’écart de croissance entre marchés émergents et développés devrait dépasser 2,5 %, ce qui témoigne de la résilience des économies des pays émergents.
  • La probabilité accrue d’un atterrissage en douceur dans les pays développés, les baisses de taux de la Fed et la croissance vigoureuse des pays émergents constituent un environnement propice à une allocation aux marchés émergents. Une allocation stratégique peut même offrir un important potentiel de valorisation et des avantages en termes de diversification dans le contexte économique mondial actuel.

Les différentiels de taux et de croissance augmentent entre pays développés et émergents

Les pays émergents devraient enregistrer une croissance robuste et stable de 4,2 %. Celle de la Chine devrait rester stable, grâce à de vastes mesures de soutien, tandis que la reprise de l’économie de l’Union européenne sera progressive. Après avoir évolué sur des niveaux supérieurs à la tendance, la croissance américaine devrait renouer avec sa tendance de long terme, voire passer en deçà à partir de 2025. Par conséquent, l’écart de croissance entre les marchés émergents (ME) et les marchés développés (MD) devrait dépasser 2,5 % en 2025. En outre, l’écart de croissance entre les pays émergents et les États-Unis devrait nettement se creuser et atteindre 2,7 % en 2025, contre 1,4 % anticipé en 2024. Ce différentiel souligne la dynamique potentielle des marchés émergents dans le contexte économique mondial (Graphique 1).

Les fondamentaux des pays émergents devraient s’améliorer en 2025, tant sur le front de la croissance, de l’inflation, des finances publiques et de l’endettement. Les révisions à la hausse des notations seront selon nous supérieures aux révisions à la baisse et les défauts souverains devraient rester rares. Certains pays émergents ont subi une détérioration budgétaire en 2024 en raison des élections et des dépenses sociales, mais une normalisation se profile à l’horizon 2025. La plupart des pays devraient pouvoir gérer efficacement leurs besoins de financement, même en cas de chocs récessionnistes, mais certains marchés frontières resteront vulnérables. L’inflation reste bien ancrée dans les pays émergents, grâce à la désinflation en Chine et à la stabilité des prix des matières premières.

Les baisses de taux de la Fed et les perspectives des marchés émergents

Le changement de cap de la Fed est un puissant catalyseur pour la dette des pays émergents, qui s’est toujours bien comportée lors des cycles d’assouplissement monétaire aux États-Unis, en particulier en l’absence de récession. Si les valorisations de la dette émergente étaient plus attractives lors des cycles précédents, la situation actuelle devrait lui permettre de générer des performances nettement positives d’ici la fin de l’année. Sur l’ensemble de l’année, la performance des marchés émergents pourrait donc ressortir à 7-8 %, voire dépasser 10 %. Et même en cas de récession aux États-Unis, les performances des marchés émergents resteraient positives grâce au rebond de la duration.

Compte tenu des baisses de taux attendues aux États-Unis et de l’ancrage de l’inflation dans les pays émergents, les banques centrales de ces pays devraient entamer ou reprendre leurs propres cycles d’assouplissement. Les marchés de taux locaux n’ont pas participé au mouvement haussier des prix et les taux réels y semblent très attractifs par rapport aux États-Unis. Un scénario d’atterrissage en douceur procure également aux emprunts d’État et aux émissions d’entreprises un bon potentiel en termes de portage (ajusté du risque) et de performance totale. L’élection américaine sera sûrement source de volatilité, mais le contexte global reste favorable et offre une occasion unique d’investir sur les marchés émergents.

La Chine peut encore atteindre son objectif de croissance du PIB, mais de nouvelles mesures de soutien sont nécessaires

Nous avons révisé à la baisse nos prévisions de PIB pour 2024 pour la Chine à 4,8 %, contre 5,0 % au trimestre dernier, en raison d’un PIB plus décevant que prévu au deuxième trimestre et de la probable absence d’un rebond au troisième. Nous pensons cependant que l’objectif de croissance du PIB de 5 % est atteignable, en particulier après l’annonce du tout dernier plan de relance. Les investissements en actifs fixes dans l’industrie manufacturière et les infrastructures sont restés à des niveaux élevés cette année et seront le principal moteur de la croissance. Nous anticipons un ralentissement progressif des exportations, mais les exportations nettes vont continuer à soutenir la croissance. Les autorités chinoises ont élargi la couverture de financement des échanges de biens de consommation et assoupli les politiques relatives aux crédits immobiliers, des mesures qui devraient soutenir la consommation intérieure. Alors que le secteur du logement n’a toujours pas atteint son point bas, son impact négatif sur la croissance du PIB s’atténue.

Comme nous l’avons indiqué, le gouvernement a annoncé tout un train de mesures pour relancer la croissance économique du pays. La Banque populaire de Chine (PBOC) a également pris des mesures radicales en réduisant nettement les taux d’intérêt et en essayant de remettre à flots les marchés de l’immobilier et des actions. Voici les principales mesures : 1) baisse de 20 points de base (pb) du taux des prises en pension à sept jours ; 2) réduction de 50 pb du ratio des réserves obligatoires (RRR) ; 3) assouplissement de la politique relative aux crédits immobiliers ; et 4) annonces de nouveaux instruments pour soutenir les marchés boursiers, en incitant les banques à octroyer des prêts aux sociétés cotées et en aidant les actionnaires pour les rachats d’actions et les prises de participation. Le marché ne s’attendait pas à de telles annonces, qui représentent à elles toutes, l’effort d’assouplissement le plus massif depuis 2015.

Certaines mesures individuelles avaient été anticipées, mais leur ampleur est supérieure aux prévisions. Ces initiatives simultanées, regroupées en un seul plan d’action, ont clairement vocation à restaurer la confiance des marchés et à stimuler la reprise économique.

La déflation persiste, mais se dissipe progressivement et son impact est minime sur les prix américains. Grâce à une autosuffisance accrue et à des investissements massifs dans des capacités de production à valeur ajoutée, la Chine continue d’exporter d’importants volumes de marchandises et exerce des pressions déflationnistes marquées à l’étranger, en particulier en Asie du Sud-Est. Toutefois, la contraction des bénéfices entraîne d’importantes recompositions dans les secteurs souffrant de surcapacités. Nous tablons donc sur une réduction progressive de la déflation de l’indice des prix à la production (IPP). L’influence des exportations chinoises sur l’inflation dans les pays développés est de plus en plus remise en cause par les nouvelles politiques industrielles et le déploiement régulier de mesures protectionnistes, comme les sanctions financières et les droits de douane. Ces facteurs réduisent considérablement l’impact global sur les prix américains.

Scénarios macroéconomiques : Transition du centre droit vers le centre gauche

Nous avons supprimé le scénario d’un atterrissage ferme de nos prévisions macroéconomiques, car le « risque positif extrême » (right tail risk) a considérablement diminué en raison du faible niveau de l’inflation américaine et du ralentissement de la croissance de l’emploi.

Notre estimation d’un atterrissage en douceur est passée de 45 % à 60 %, sous l’effet du ralentissement de l’économie et de l’assouplissement de la Fed. Compte tenu des nouveaux signes de rééquilibrage sur le marché du travail américain, nous avons révisé à la hausse la probabilité d’une récession, ce qui témoigne clairement d’une transition d’un « risque positif extrême » vers un « risque négatif extrême » (left tail risk).

Le différentiel de taux réel des pays émergents étant devenu très attractif, nous privilégions les positions longues sur des émissions de grande qualité, en particulier avec l’augmentation du risque de récession. Le crédit dans les pays émergents reste stable et nous préférons nous exposer à des pays dont les fondamentaux s’améliorent, avec des émissions relativement faibles et dont la part des émissions en devise locale augmente progressivement. Malgré le niveau très serré des spreads des émissions d’entreprises des pays émergents, le rendement global reste intéressant. Alors que les scénarios plaident de plus en plus en faveur d’une dépréciation du dollar américain, nous prévoyons d’accroître notre exposition aux devises émergentes dans un contexte marqué par l’assouplissement de la politique de la Fed et les prochaines élections américaines. L’environnement est globalement favorable aux marchés émergents, mais nous surveillons de près les risques liés aux élections américaines, aux incertitudes géopolitiques et à l’assèchement de la liquidité.

Perspectives de la dette émergente en devise locale

Nous allons maintenir des positions longues en duration, car les baisses de taux de la Fed devraient stimuler les marchés de taux des pays émergents, qui n’ont pas suivi le dernier mouvement haussier des prix.

Les valorisations des pays émergents restent très intéressantes à long terme, car les taux réels et nominaux semblent sous-évalués. L’ancrage de l’inflation dans les pays émergents offrira aux banques centrales, en particulier en Amérique latine et en Asie, une plus grande latitude pour réduire leurs taux. Si certains pays d’Amérique latine continuent à bénéficier de baisses de taux et d’une tendance désinflationniste, nous anticipons de nouveaux cycles d’assouplissement en Asie et avons l’intention de surpondérer la région, en privilégiant les actifs de très bonne qualité.

Nous pensons également initier des positions longues sur les devises émergentes, en privilégiant celles de grande qualité, car le dollar américain, surévalué, devrait s’affaiblir. Cet environnement crée un contexte technique favorable, en particulier pour les devises asiatiques. Bien que l’environnement macroéconomique des États-Unis soit globalement favorable aux devises émergentes, nous restons prudents face aux risques de récession et à la volatilité que pourrait entraîner les élections américaines.

Perspectives de la dette souveraine émergente

Les émissions souveraines des pays émergents devraient être en mesure de générer des performances à un chiffre élevées, voire supérieures à 10 % dans un contexte marqué par les baisses de taux de la Fed. Malgré des valorisations élevées, les emprunts souverains des pays émergents bénéficient d’une meilleure configuration technique. Le ratio offre/demande reste favorable, car l’offre nette reste tout à fait gérable, même pour une classe d’actifs privée d’afflux de capitaux depuis près de deux ans. Le positionnement des investisseurs « crossover » est lui aussi favorable. En effet, la classe d’actifs n’a pas été très prisée ces deux dernières années en raison de la volatilité induite par le cycle de hausse des taux de la Fed. Nous avons également observé une forte augmentation d’investisseurs locaux achetant des titres libellés en dollars et de pays qui se sont lancés dans l’émission de titres en devise locale afin d’améliorer la répartition entre leurs ratios de dette publique libellée en dollars et en devises locales.

Les spreads sont toujours proches de leurs plus bas historiques. Les titres investment grade (IG) restent onéreux, mais sont toujours plus intéressants que leurs homologues des MD. Les titres notés BB restent un peu moins chers que les titres notés A, en particulier pour les émetteurs qui pourraient selon nous être promus dans la catégorie IG. Le segment noté B et les segments de qualité inférieure conservent un potentiel de valorisation.

Perspectives des obligations d’entreprises des marchés émergents

Les fondamentaux des entreprises sont toujours solides et notre opinion top-down n’a guère évolué depuis le dernier trimestre. Les dynamiques de performance ont évolué dans certains secteurs, mais la majorité d’entre eux - à l’exception de l’immobilier - anticipent une croissance positive en 2024. C’est selon nous l’Asie qui enregistrera la plus forte dynamique de croissance, suivie par l’Amérique latine, alors que celle des pays d’Europe centrale et de l’Est, le Moyen-Orient et l’Afrique (CEEMEA) devrait être relativement stable d’une année sur l’autre. En termes de valorisation relative, c’est l’Amérique latine qui présente le meilleur potentiel, suivie de la région CEEMEA et de l’Asie.

Les bilans des entreprises sont solides et la plupart d’entre elles devraient résister à des taux plus élevés et à une croissance plus faible. Toutefois, les 12 % des émetteurs à haut rendement le plus fragiles pourraient pâtir de leurs faiblesses intrinsèques en cas de tensions pendant une période prolongée.

Les prévisions relatives aux taux de défaut sont légèrement inférieures à celles du trimestre précédent, mais restent largement inchangées. Dans l’ensemble, les entreprises des pays émergents sont en bonne santé et les risques sont soit spécifiques aux émetteurs soit extérieurs à la classe d’actifs.

Nous apprécions les nouvelles opportunités offertes par certains émetteurs présentant des primes d’émission attractives, ainsi que les opportunités de portage qui pourraient également bénéficier de catalyseurs haussiers à court terme. Malgré l’augmentation des spreads, l’univers des titres notés BB reste intéressant en termes absolus. À moyen terme, nous avons l’intention de poursuivre notre rotation au détriment des opérations de portage sur les titres à court terme afin de retrouver un profil de risque plus équilibré. À court terme, nous allons nous intéresser au marché primaire pour nous repositionner sur le crédit de qualité sur toute la courbe de duration et nous allons gérer notre duration via des contrats à terme, tout en continuant à profiter des spreads plus élevés des titres à plus courte échéance.

Indices utilisés pour le calcul des performances et des spreads :

Dette d’entreprises des pays émergents : J.P. Morgan Corporate EMBI Broad Diversified

Dette souveraine des pays émergents : J.P. Morgan EMBI Global Diversified

Dette émergente en devise locale : J.P. Morgan GBI-EM Global Diversified Composite Unhedged USD