En bref
- Depuis que les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine ont abouti à une réduction des droits de douane initialement annoncés, les actifs risqués ont rebondi. À la lumière de ce qui nous semble une probabilité réduite de scénarios défavorables, nous faisons le point sur des perspectives de croissance plus synchronisées au niveau mondial, avec des prévisions différenciées en matière d’inflation et de politique monétaire.
- Aux États-Unis, la guerre commerciale se traduira très certainement par un choc d’offre négatif qui freinera la croissance et poussera l’inflation à la hausse, compliquant ainsi la tâche de la Réserve fédérale qui devra probablement retarder ses baisses de taux.
- En revanche, la guerre commerciale représente un choc de demande négatif dans le reste du monde, qui entraînera un ralentissement de la croissance et une baisse de l’inflation.
- Au sein de nos investissements obligataires, nous conservons un positionnement neutre sur les titres américains, en privilégiant les opportunités de portage et de valorisation en Italie, en Australie et au Royaume-Uni, tout en considérant le Canada et le Japon comme des marchés de financement appropriés.
Résumé
Les négociations commerciales de la semaine dernière entre les représentants américains et chinois réunis en Suisse ont abouti à une importante réduction des droits de douane américains sur les importations en provenance de Chine, qui sont passés de 145 % à 30 %, engendrant une forte reprise des actifs risqués. En conséquence : l’indice S&P 500 a rebondi, effaçant les pertes enregistrées depuis le 2 avril, jour de la « libération » et de l’annonce des droits de douane à Washington. En parallèle, les actions mondiales (MSCI ACWI) s’affichent elles-aussi en hausse depuis le début de l'année, tandis que les spreads des obligations américaines Investment Grade et High Yield se sont resserrés.
Le 12 mai, l’administration Trump a annoncé une réduction temporaire de 115 points de pourcentage (pp) des droits de douane supplémentaires imposés par les États-Unis sur les importations chinoises, ce qui les ramène à 30%. Cette annonce a largement surpassé les attentes des acteurs du marché, qui tablaient sur un niveau d’environ 50%. Selon nos calculs, le taux global des droits de douane pondérés en fonction des échanges commerciaux des États-Unis s’établit désormais à environ 13%, ce qui est nettement inférieur aux 23% qui étaient en place le mois passé.
Malgré les perspectives toujours incertaines de la guerre commerciale, nous estimons que l'aboutissement de ces accords et celui d'autres évènements récents réduisent le risque de scénarios pessimistes liés aux droits de douane trop élevés et aux perturbations des chaînes d'approvisionnement. En supposant que les États-Unis maintiennent leurs droits supplémentaires sur les produits chinois à 30% et que les droits de douane sur les secteurs pharmaceutiques et des semiconducteurs entrent en vigueur, notre scénario de base actualisé prévoit des droits de douane effectifs aux alentours de 16%, ce qui est légèrement plus bas que notre hypothèse antérieure de 18%.
Perspectives de croissance synchronisées avec des prévisions d’inflation différenciées
Anticipant ainsi un impact réduit des droits de douane sur l’économie américaine, nous avons relevé de 0,4 pp notre prévision de croissance du PIB pour le 4eme trimestre 2025, la portant à 0,9% tout en ramenant la probabilité de récession sur 12 mois à environ 30% contre 45% précédemment. L’apaisement des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine laisse également présager un scénario plus favorable pour l’économie mondiale, car une croissance plus forte aux États-Unis et en Chine aura probablement des retombées positives sur le reste du monde.
Bien que les perspectives de croissance des grandes économies s’annoncent plus synchronisées, nous observons toujours des trajectoires d’inflation différenciées en raison de la guerre commerciale. Cette situation a des implications variables selon les banques centrales. Dans cette analyse des risques bilatéraux concernant la croissance et l’inflation, nous relevons des opportunités de valeur relative sur les marchés de taux. Ainsi, notre positionnement obligataire est neutre sur les États-Unis et sous-pondéré sur le Japon, avec des possibilités de surpondération dans la zone euro.
États-Unis
La guerre commerciale se traduira très certainement par un choc d’offre négatif pour les États-Unis, qui freinera la croissance tout en poussant l’inflation à la hausse. Ce scénario pourrait placer la Réserve fédérale américaine (Fed) dans une situation délicate, en créant un conflit entre ses deux mandats, celui de la stabilité des prix et celui du plein emploi. Malgré l’atténuation des pressions inflationnistes liées à la baisse récente des droits de douane, nous continuons de prévoir un taux d’inflation sous-jacente (IPC) de l’ordre de 3,8% en glissement annuel pour fin 2025, ce qui est bien supérieur à l’objectif de 2% visé par la Fed.
Les communications récentes de la Fed prévoient une approche prudente des perspectives d’inflation aux États-Unis. Bien que celle-ci reconnaisse le caractère temporaire de l’inflation induite par les droits de douane, elle craint qu'une inflation encore supérieure à l’objectif ne déstabilise les anticipations d’inflation pour les pousser à la hausse. Compte tenu de l'amélioration des perspectives de croissance et de l’atténuation des pressions inflationnistes, nous nous attendons à ce que la Fed continue de faire preuve d’attentisme.
Nous avons repoussé la date prévisionnelle de baisse des taux de la Fed de juillet à septembre, avec une deuxième baisse probable en décembre. Nous estimons que les risques sont ceux d'une réduction de baisses des taux cette année. En effet, la Fed attendra probablement un affaiblissement du marché de l'emploi avant d'alléger ses taux, surtout si les anticipations d'inflation continuent de croître comme cela a été le cas au cours des dernières enquêtes.
Pour le reste du monde, la guerre commerciale représente un choc de demande négatif qui entraînera un ralentissement de la croissance et une baisse de l’inflation. Ces conditions offrent davantage de flexibilité aux autres banques centrales pour réagir en fonction de la situation intérieure.
Zone euro
Dans la zone euro, la dynamique sous-jacente de l’inflation apparaît toujours favorable. La surprise à la hausse enregistrée en avril pour l’inflation sous-jacente s’explique en grande partie par les services liés aux vacances de Pâques. L’inflation devrait ralentir en mai. Les perspectives de croissance modérées, associées à la vigueur de l’euro et aux faibles pressions inflationnistes de la Chine, devraient maintenir le processus de désinflation au sein de la zone euro.
Si la désescalade des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine a réduit la probabilité d’un assouplissement monétaire rapide de la part de la Banque centrale européenne (BCE), nous continuons de penser que la BCE pourrait réduire ses taux au-delà de notre hypothèse actuelle d’un taux terminal de 1,75% en raison de la faiblesse de la croissance et de l’inflation modérée au sein de la région.
Japon
Les derniers chiffres font ressortir des pressions inflationnistes persistantes au Japon, notamment au niveau des prix alimentaires. Nous estimons malgré tout que l’inflation devrait baisser au second semestre, en raison du ralentissement de la croissance, de l’atténuation des effets de base sur les prix des biens et de la mise en place de nouvelles subventions pour l’essence et les services collectifs.
La Banque du Japon fait également preuve d’une plus grande prudence dans ses prévisions d’inflation. Dans son dernier rapport sur les perspectives économiques, elle a reporté d’un an la date à laquelle elle prévoyait d’atteindre son objectif d’inflation de 2% (à savoir 2027). Bien que l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine ait ravivé les anticipations des acteurs du marché quant à la possibilité d’une hausse des taux de la Banque du Japon pour cette année, nous estimons que les pourparlers commerciaux entre les deux puissances économiques restent entachés d’une grande incertitude.
Nous maintenons ainsi notre scénario de base, qui prévoit une hausse des taux de la Banque du Japon pour janvier 2026. Dans le cas toutefois de progrès significatifs dans les négociations américaines avec le Japon et d’autres partenaires commerciaux d’ici l’été, une hausse de taux reste possible dès le 4eme trimestre.
Implications pour l’investissement
Dans l’ensemble, nous privilégions la duration hors États-Unis en raison d’une meilleure visibilité concernant la désinflation, la croissance et les perspectives budgétaires. Cette préférence est influencée par les valorisations, en particulier dans les régions à rendement plus élevé où les mesures des banques centrales sont moins attendues, ainsi que par les opportunités de portage, notamment en Italie et en Australie. D'après nos estimations, certaines banques centrales seront obligées d’abaisser leurs taux dans la partie basse de la fourchette du taux neutre estimé (R*), voire en dessous de celle-ci ; d’autres, comme les États-Unis ou le Japon, pourraient maintenir des taux supérieurs ou égaux à la partie haute de la fourchette en raison de la résilience de l’économie, qu'elle soit due à la politique budgétaire ou par le dynamisme résiduel des dernières années (figure 1).
Certaines banques centrales abaisseront probablement leurs taux dans la partie basse de la fourchette de taux neutre estimé (R*), voire en-dessous de celle-ci ; d’autres pourraient maintenir leurs taux dans la partie haute de la fourchette, voire au-dessus de celle ci.
Cette dynamique offre des opportunités relatives sur les marchés obligataires des différentes régions. Aux États-Unis, nous maintenons un positionnement neutre sur les obligations dans une perspective de valeur relative. L’incertitude autour de la croissance et l’inflation, associée à à l'impact "stagflationniste" probable des droits de douane, rend la réponse de la Fed moins prévisible. Le résumé des projections économiques de cette dernière pour mars 2025 et les discours plus récents du Federal Open Market Committee semblent prioriser la maîtrise de l’inflation par rapport à la croissance, bien qu’il soit difficile de trancher entre les deux.
Nous relevons des opportunités à surpondérer certaines valeurs en Europe, en privilégiant notamment les obligations italiennes par rapport aux Bunds allemands en raison d’un portage élevé, d’un risque limité sur les spreads et d’une forte corrélation relative avec les Bunds. L’Italie présente un faible risque budgétaire avec une marge de manœuvre limitée pour augmenter son déficit, tandis que l’Allemagne risque de voir son ratio dette/PIB passer de 60 % à un plafond potentiel de 90 % dans les années à venir. Bien que son impact économique demeure incertain, cette relance budgétaire pourrait ajouter quelques dixièmes de point de pourcentage au PIB annuel de la zone euro et près de cinquante points de base au taux de croissance annuel de l’Allemagne à partir de 2026.
Les droits de douane mondiaux et les perturbations commerciales auront probablement une incidence négative à court terme sur la croissance et l’inflation de la zone euro. Le processus décisionnel réfléchi de l’Union européenne (UE) contraste avec le discours agressif et les échéances serrées du gouvernement américain concernant les droits de douane. Même si les deux parties souhaitent parvenir à un accord, les attentes plus élevées de l’UE et l’importance qu’elle accorde à la qualité plutôt qu’à la rapidité sont autant de défis. Les pierres d’achoppement potentielles comprennent les droits de douane sur les produits pharmaceutiques, la taxe sur les services numériques et les éventuelles mesures de rétorsion de l’UE, ce qui complique les négociations par rapport à celles impliquant des partenaires commerciaux de taille plus modeste.
Les perturbations commerciales affectent la zone euro par le biais de la dynamique de l’offre et de la demande. Les droits de douane américains sur les exportations de l’UE rendent les produits européens moins compétitifs, ce qui réduit la demande d’exportations et déplace la courbe de la demande vers la gauche. Il se produit en parallèle un détournement des échanges commerciaux, certains pays comme la Chine réorientent leurs exportations vers l’Europe, ce qui augmente l’offre en déplaçant la courbe de l’offre vers la droite. Cette augmentation de l’offre provoque une baisse des prix et donc une désinflation. En outre, l’appréciation de l’euro rend les importations moins chères, ce qui réduit encore plus les pressions inflationnistes.
Il en résulte une baisse de la demande et une augmentation de l’offre, ce qui est source de désinflation en Europe, tandis que les droits de douane font grimper les prix aux États-Unis. Ce scénario, étayé par des études du Parlement européen et du Centre for European Policy Studies (CEPS), laisse à penser que même si la politique de la BCE apparaît correctement évaluée sur les marchés à terme, la banque centrale conservera probablement des taux bas plus longtemps que ne le prévoient actuellement les investisseurs.
Au Royaume-Uni, nous estimons que les valorisations des gilts sont attrayantes, avec des rendements réels élevés et des anticipations limitées de baisse des taux directeurs sur le marché à terme. Nous prévoyons également que les responsables de la politique monétaire seront contraints d’abaisser les taux et de les maintenir à des niveaux peu élevés plus longtemps que ne le prévoit le marché en raison des contraintes budgétaires du gouvernement et du ralentissement du marché de l’emploi, malgré l’accent mis par la banque centrale sur les anticipations d’inflation.
L’Australie offre également des valorisations favorables sur ses obligations souveraines, ainsi qu’un marché à carry très positif avec des rendements réels élevés. L'inflation est de mieux en mieux contrôlée à mesure que le ralentissement économique se poursuit. Bien que toujours solide, le marché de l’emploi est en train de se détendre progressivement.
Notre portefeuille obligataire sous-pondère le Japon, un marché sur lequel nous restons prudents. Malgré les prévisions moins optimistes de la Banque du Japon concernant l’économie et l’inflation, nous estimons que les tendances inflationnistes restent fortes. Les annonces de droits de douane du mois d’avril ont pratiquement éliminé les anticipations de hausse du taux directeur de la banque centrale, en raison de l’absence supposée de hausse des taux en cas de ralentissement économique mondial. Malgré l'apaisement des tensions tarifaires, le marché prévoit que la Banque du Japon adoptera une approche prudente pour abaisser son taux terminal. Un taux neutre de 1 % est peu probable dans les deux prochaines années. Ces anticipations sont jugées raisonnables et ont été confirmées lors de la réunion de mai de la banque centrale.
Malgré des taux réels toujours négatifs, le taux directeur du Japon est à son plus haut niveau depuis trente ans et la Banque du Japon est connue pour sa prudence. Nous continuons à utiliser le Japon comme source de financement, mais restons prudents quant à la taille de nos positions.
Nous privilégions également le Canada en tant que marché de financement. Malgré la faiblesse relative de la consommation, du marché de l’emploi et de l’inflation, la valorisation de la banque centrale semble correcte. Sur le plan budgétaire, le Premier ministre récemment élu, Mark Carney, envisage de nouvelles dépenses dans le logement et les services publics, ainsi que des baisses d’impôts, dans le but de protéger une économie canadienne vulnérable face aux politiques commerciales plus restrictives des États-Unis. Ces mesures devraient maintenir les rendements dans une fourchette par rapport à d’autres marchés sur lesquels les banques centrales se sont montrées moins proactives.