La courbe des rendements peut avoir perdu sa puissance prédictive si elle ne fournit plus de signal sur l'orientation de la politique.
Karen Ward
Nous assistons à un aplatissement de la courbe des taux américains. Comme le montre le graphique 1, extrait de notre Guide des marchés, le rendement des obligations du Trésor à deux ans est désormais globalement au même niveau que celui des obligations à 10 ans. Dans le passé, l’inversion de la courbe des taux a été un indicateur fiable de récessions. Les investisseurs sont donc particulièrement inquiets d’observer la tendance actuelle.
En quoi la courbe des taux est-elle un indicateur fiable de retournement ? La courbe des taux est dans une large mesure un indicateur fiable de la santé de l’économie, car elle renseigne sur la volonté de la banque centrale de donner un coup d’accélérateur, ou de frein, à l’économie. Les taux d’intérêt à long terme doivent refléter une politique « neutre », c.-à-d. qu’ils ne doivent servir ni à stimuler ni à restreindre l’activité. Les courbes en pentification laissent penser que les taux d’intérêt à court terme sont inférieurs au taux « neutre » (effet stimulant), tandis que les courbes inversées peuvent indiquer au contraire que les taux d’intérêt à court terme sont supérieurs au taux neutre (effet restrictif).
Le délai entre une politique qui tend vers une rigueur relative et le ralentissement réel de l’économie a beaucoup évolué dans le passé, mais ce laps de temps est souvent long. L’inversion de la courbe intervient en moyenne 17 mois avant le pic du marché des actions et 22 mois avant le pic de l’économie. Au milieu des années 90, la courbe a été globalement plate pendant environ cinq ans. Sur cette période, l’économie et le marché des actions ont tous les deux connu une forte embellie, alimentée par l’optimisme autour des promesses des nouvelles technologies.
Graphique 1 : La courbe des taux Américains
Source : (Tous les graphiques) Bloomberg, Réserve fédérale, Thomson Reuters Datastream, J.P. Morgan Asset Management. Les Périodes de « récession » sont définies à partir des dates de cycles économiques du National Bureau of Economic Research (NBER) aux États-Unis. La performance passée n’est pas un indicateur fiable des résultats actuels et futurs. Guide des marchés - Europe. Données au 31 janvier 2019.
Il est possible que l’assouplissement quantitatif (QE) ait réduit la capacité qu’a la courbe des taux à indiquer l’état de l’économie. Le QE a été conçu pour faire baisser les rendements des obligations à long terme sous un taux dit « neutre ». Une des manières de jauger l’impact d’un QE au niveau mondial consiste à prendre en compte la prime à terme : les investisseurs qui enregistrent un excès de rendement doivent placer leur argent dans des obligations à long terme. Bien que la Réserve fédérale américaine ait entamé un processus de resserrement quantitatif, la prime à terme reste extrêmement faible (Graphique 2).
C’est pour cette raison que la courbe des taux peut potentiellement avoir perdu son pouvoir de prédiction si elle ne fournit plus aujourd’hui d’indicateur sur la politique relative au taux neutre. La courbe peut rester plate même si les taux d’intérêt continuent de stimuler l’économie réelle et, par conséquent, ne servent pas à faire baisser l’activité.
Il peut y avoir un lien de cause à effet entre la courbe des taux et un ralentissement de l’économie si un aplatissement de la courbe décourage les banques commerciales de prêter de l’argent avec, pour conséquence, le ralentissement de l’activité. L’aplatissement de la courbe donnera lieu à une réduction des marges d’intérêts nets étant donné que les banques continuent, comme toujours, d’emprunter à taux courts et de prêter à taux longs.
Graphique 2 : Prime à terme du bon du trésor Américain à 10 ans
Source : Bloomberg, J.P. Morgan Asset Management. Mesure Adrian Crump & Moench de la prime à terme du bon du Trésor américain à 10 ans. Données au 31 janvier 2019.
Graphique 3 : Courbe des rendements Américains et croissance du crédit des banques commerciales
En %, rendement des bons du Trésor à 10 ans moins le rendement des bons du Trésor à 2 ans (axe de gauche) ; variation annuelle en % (axe de droite)
Source : Réserve fédérale, Thomson Reuters Datastream, J.P. Morgan Asset Management. La performance passée n’est pas un indicateur fiable des résultats actuels et futurs. Données au 31 janvier 2019.
Pourtant, l’aplatissement de la courbe des taux ne se traduit pas historiquement par une baisse de la croissance du crédit, c’est même plutôt l’inverse (Graphique 3). La propension des banques à continuer à prêter alors que la courbe des taux s’aplatit reflète vraisemblablement le fait que l’optimisme des ménages et des sociétés (et par conséquent leur envie d’emprunter) tend à augmenter à travers le cycle. Dans le même temps, les dévalorisations ont tendance à être relativement faibles, ce qui encourage les banques à prêter.
Pour résumer, pour ce cycle, nous pensons qu’il ne faut pas se fier uniquement au pouvoir de prédiction de la courbe des taux. En ce qui nous concerne, nous porterons davantage notre attention sur la confiance des consommateurs et des entreprises, et sur le marché du travail (Graphique 4).
En effet, historiquement, ces éléments sont d’excellents indicateurs du ralentissement de l’économie et il n’y a pas de raisons apparentes de douter des signaux qu’ils envoient aujourd’hui. Ces indicateurs montrent que l’expansion américaine ralentit à mesure que l’effet de la stimulation financière s’estompe, mais cela ne veut pas dire que l’économie est sur le point de se contracter de manière significative. Par conséquent, nous pensons qu’à ce stade, il serait plus prudent d’adopter une approche légèrement plus modeste quant au risque, avec des portefeuilles d’actions davantage tournés vers les valeurs défensives (voir notre article Dans l’esprit des investisseurs1.)
Graphique 4 : Corrélations macro des actions Américaines
Source : (Gauche) Conference Board, Standard & Poor’s, Thomson Reuters Datastream, J.P. Morgan Asset Management. (Droite) BLS, Standard & Poor’s, Thomson Reuters Datastream, J.P. Morgan Asset Management. Les Périodes de « récession » sont définies à partir des dates de cycles économiques du National Bureau of Economic Research (NBER) aux États-Unis. La performance passée n’est pas un indicateur fiable des résultats actuels et futurs. Guide des marchés - Europe. Données au 31 janvier 2019.
1 Changer de positionnement : considérations de portefeuille en fin de cycle, Michael Bell, J.P. Morgan Asset Management, octobre 2018.