Synthèse
- Dans son ensemble, le programme économique de Donald Trump devrait être favorable aux marchés ; axé sur l’immigration, les droits de douane, la déréglementation et la politique budgétaire, il n’est toutefois pas exempt de risques.
- La croissance américaine devrait surpasser la croissance mondiale en 2025, surtout si la priorité est donnée à la déréglementation et à la politique budgétaire.
- Les risques d'inflation sont plus nuancés ; les droits de douane pourraient alimenter l'inflation, mais aussi ralentir la croissance américaine, ce qui pèserait sur les rendements obligataires.
- La croissance et l'inflation pourraient entraîner une pentification de la courbe des taux ; cette pentification sera toutefois limitée par l’ajustement des anticipations des investisseurs concernant les taux directeurs en raison des bonnes perspectives de croissance nominale.
- Le crédit est généralement soutenu par une croissance positive ; la déréglementation pourrait toutefois conduire à une augmentation des émissions obligataires pour financer l’activité des entreprises.
- Les actions américaines seront probablement gagnantes dans la plupart des cas, que ce soit en base relative ou absolue ; de leur côté, les actions européennes risquent de souffrir, même si elles ne sont pas directement visées par les droits de douane.
- La politique « America First » pourrait se caractériser par un dollar fort et une sous-performance des bons du Trésor américain par rapport aux obligations non américaines.
Le programme économique de Donald Trump et les marchés
Le 6 novembre, les marchés boursiers ont collectivement approuvé l'élection de Donald Trump en tant que 47ème président des États-Unis, le S&P 500 affichant un gain de 2,53 %, sa plus forte hausse journalière depuis mars 2022. Pour un homme qui semble souvent considérer le S&P 500 comme un important baromètre politique, cette performance a probablement conforté ses ambitions économiques.
Dans l’ensemble, nous souscrivons à l’idée que le programme économique de Donald Trump sera globalement favorable aux marchés. L’analyse de ce programme au niveau des différentes mesures envisagées montre toutefois que certaines politiques sont plus susceptibles que d’autres de stimuler l’économie ; certaines pourraient même peser sur la croissance ou le sentiment, voire les deux à la fois.
Il est clair que la victoire sans ambiguïté de Donald Trump associée à un Congrès contrôlé par les républicains ouvre la porte à toute une série de propositions politiques susceptibles de transformer en profondeur l’économie américaine. Nous distinguons quatre grands domaines d’intervention : l'immigration, les droits de douane, la déréglementation et la politique budgétaire. Chacun d’eux a des implications spécifiques pour l'économie et les marchés financiers.
À mesure que les investisseurs analyseront les priorités et le calendrier prévisionnel du programme économique de Donald Trump, les gagnants et les perdants potentiels commenceront à se manifester (figure 1). La politique économique « America First » a d’ores et déjà redonné vie au thème de l'exceptionnalisme américain qui anime les marchés mondiaux depuis plusieurs années.
La déréglementation et les baisses d'impôts sont globalement favorables aux actions ; l’évolution de la politique de l’immigration est plus neutre, sauf si elle vient affecter l'offre de main-d'œuvre. En revanche, les obligations pourraient souffrir de nombreux aspects du programme économique, même si l'effet des droits de douane envisagés pourrait s’avérer plutôt neutre selon que les inquiétudes qui en découlent prévalent ou non sur celles qui se rapportent à l’inflation.
Au niveau international, la Chine est clairement la cible des droits de douane envisagés par l'administration Trump. Pékin pourrait toutefois adopter rapidement des mesures de relance compensatoires, ce qui atténuerait l’impact de ces droits de douane sur les marchés boursiers chinois. De son côté, l'Europe pourrait être la grande perdante de ces politiques, alors même qu’elle n’est pas la cible directe des droits de douane américains.
L'ampleur et le séquencement des politiques du gouvernement Trump seront déterminants. Par exemple, l’impact négatif potentiel des droits de douane sur la croissance pourrait être en partie atténué par les mesures de déréglementation. En revanche, une action forte et simultanée sur les droits de douane et l’immigration pourrait amplifier le risque inflationniste et le ralentissement de la croissance qui sont susceptibles d’en résulter.
Le choix du gestionnaire de fonds spéculatifs Scott Bessent pour le poste de secrétaire au Trésor implique un certain degré de pragmatisme et de sensibilité aux réactions du marché. Nous nous attendons à ce que les investisseurs aient une influence sur le contenu et le calendrier des objectifs précis de politique.
Politique de l'immigration : les considérations pratiques l’emporteront-elles ?
L'administration Trump agira probablement rapidement dans le domaine de l’immigration. Pendant sa campagne électorale, Donald Trump a promis une déportation massive des immigrés sans papiers. Si cette déportation avait réellement l’ampleur évoquée, elle pourrait provoquer un choc majeur sur l'offre de main-d'œuvre, susceptible d'inverser l'effet d'entraînement de la croissance de 2023 et d’entraîner une spirale salaires-prix. Cependant, ce scénario n’est pas notre hypothèse de base. Nous estimons que certaines considérations pratiques (à commencer par la capacité actuelle des douanes et du contrôle des frontières à mettre en œuvre des déportations supplémentaires) et la perspective d'un impact économique négatif pourraient modérer l'action du gouvernement dans ce domaine.
Nos estimations préliminaires prévoient 300 000 à 500 000 déportations par an (ce qui représente 0,2 à 0,3 % de la main-d'œuvre américaine). À la marge, cela pourrait créer des tensions sur le marché de l’emploi et pousser les salaires à la hausse, notamment dans les secteurs et les industries qui utilisent une main d’œuvre peu qualifiée largement issue de l’immigration (agriculture et BTP, par exemple).
À ce niveau, les changements dans le domaine de l’immigration pourraient freiner la croissance du PIB, mais uniquement à la marge, car les gains de productivité et/ou la déréglementation pourraient avoir un effet compensateur dans d’autres secteurs. Si les mesures limitant l'immigration s’avéraient plus importantes ou plus rapides que ne le prévoit notre scénario de base, leur incidence sur la croissance - et donc sur les bénéfices - pourrait être plus marquée.
Ce scénario prévoit un impact globalement neutre sur les actions, légèrement positif sur les obligations Investment Grade (les grandes entreprises étant relativement moins touchées) et légèrement négatif sur les obligations d'État en raison du risque perçu de pression sur les salaires.
Droits de douane : dans quelle mesure et sous quelles conditions ?
Comme nous l'avons appris lors du premier mandat de Trump, les droits de douane peuvent être promulgués par décret. Sachant toutefois que les républicains contrôlent la Chambre des représentants et le Sénat jusqu'en 2026, la nouvelle administration pourrait décider de retarder l'entrée en vigueur des droits de douane pour donner la priorité aux politiques qui exigent le vote du Congrès. Une première série de droits de douane relativement limités pourrait entrer en vigueur courant 2025, mais assortie de certaines conditions - et de la menace de droits plus élevés.
Les discours électoraux annonçant des droits de douane de 60 % sur les produits chinois et de 10 % sur toutes les autres importations pourraient bien constituer la menace ultime, mais pas nécessairement la première série de mesures mises en place par l’administration Trump en matière de commerce extérieur. À brève échéance, nous verrons probablement une augmentation des droits de douane sur les importations en provenance de Chine, mais pas à hauteur de 60 %. Une augmentation générale de 10 % est possible, mais il est plus probable que l'administration cible d'abord un groupe limité de pays (comme indiqué récemment par Donald Trump à propos du premier jour de sa présidence). Malgré l’absence d’adhésion de la communauté financière à ce sujet - et les mises en garde du futur secrétaire au Trésor - nous pensons qu’ils s’appliqueront au minimum comme un outil de négociation.
Les précédents droits de douane mis en place par Donald Trump en 2018 avaient entraîné une volatilité notable de la croissance. La constitution de stocks de précaution au 4e trimestre 2017 avait poussé le taux de croissance du PIB réel à 4,6 % pour le trimestre. Un an plus tard, il avait chuté à tout juste 0,6 % pour le 4ème trimestre 2018 (en base annuelle). Bien que les droits de douane ne soient pas les seuls responsables, l'impact combiné des droits de douane et des mesures de rétorsion sur les chaînes d'approvisionnement dans des secteurs tels que l'agriculture, l'automobile, l'industrie manufacturière et les équipements techniques avait contribué à provoquer une baisse de 14 % du S&P 500. Cette baisse avait annulé les gains antérieurs de l’indice, qui avait fini à – 6 % sur l’année.
Pour la suite, les obligations pourraient faire preuve de résilience si les préoccupations relatives à la croissance l'emportaient sur les pressions inflationnistes. Les actions américaines pourraient souffrir si l’impact des droits de douane sur les chaînes d’approvisionnement et la croissance était particulièrement prononcé. Même s’il est probable que la Chine sera la cible principale de nombreux droits de douane, nous pensons que les actions européennes sont particulièrement vulnérables, car ces droits de douane pourraient peser sur l’ensemble du cycle mondial des biens. Cet impact pourrait même être exacerbé dans l’hypothèse de droits punitifs ciblant spécifiquement l’industrie automobile.
Déréglementation : un facteur de productivité ?
La déréglementation - un terme général - sera probablement variable selon les secteurs et les entreprises. Les deux partis politiques américains ont évoqué un durcissement de la réglementation applicable aux grandes entreprises technologiques, notamment les plateformes de réseaux sociaux. Dans d'autres domaines, par exemple les cryptomonnaies ou l'intelligence artificielle, l'équipe Trump souhaite positionner les États-Unis comme un leader mondial, ce qui laisse supposer un allègement de la réglementation dans ces secteurs.
La déréglementation envisagée, notamment dans l'énergie et les services financiers, pourrait réduire les coûts de conformité, ce qui libèrerait des capitaux pour l'investissement et l'innovation. Il existe toutefois un risque de dégradation de l'environnement et d’instabilité financière en cas d’affaiblissement des dispositifs de protection. L’impact à long terme de la déréglementation sur la croissance dépendra par conséquent de sa capacité à favoriser des gains de productivité et des pratiques durables.
Les prestataires de services financiers pourraient bénéficier d’une activité plus soutenue sur le marché des entreprises. Ils s'attendent déjà à une reprise de l’activité sur le marché primaire et dans le domaine des fusions-acquisitions pour 2025. Sur les marchés privés, on pourrait observer des sorties plus importantes dans les fonds millésimés anciens, ce qui permettrait de faire travailler davantage de nouveaux capitaux. De manière plus générale, ce regain d’activité des marchés financiers américains pourrait améliorer le sentiment des entreprises et favoriser la reprise de leurs investissements, ainsi que la prolongation d'un cycle économique déjà mature.
En revanche, la déréglementation dans le secteur de l'énergie devrait accroître l'offre de pétrole, ce qui pèserait sur les cours et pénaliserait le secteur des énergies conventionnelles.
Dans l'ensemble, la déréglementation devrait être positive pour la croissance et la productivité, favorisant ainsi les actions par rapport aux obligations.
Politique budgétaire : quel sera l’impact des baisses d'impôts sur la croissance ?
Une relance budgétaire significative pourrait se produire à la fin de l’année 2025 dans le cadre d'une réconciliation budgétaire prévoyant une réduction des impôts. Les dispositions du Tax Cuts and Jobs Acts (TCJA) de 2017 seront très certainement prolongées au-delà de 2025. Nous voyons également la possibilité d'une réduction de l'impôt sur les sociétés de 21 % à 15 % pour la production nationale.
Il est fort possible que la perspective d’une manne fiscale à la fin de 2025 s’avère une illustration de l’adage « Mieux vaut voyager plein d’espoir que d’arriver au but » : les épisodes de stress du marché liés au programme économique du gouvernement pourraient être améliorés par quelques commentaires bien placés sur les réductions d’impôts à venir. Cependant, une fois celles-ci adoptées, les investisseurs désormais habitués à l'effet narcotique des mesures de relance promises pourraient trouver la suite moins satisfaisante.
De plus, si la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés est susceptible de stimuler l'investissement et la création d'emplois, elle pose également la question de savoir quel sera l'impact des changements fiscaux sur le déficit. Les conditions de prorogation du TCJA seront déterminantes. Même si nous pensons que le Congrès s’attaquera à la politique fiscale dans le cadre du processus de réconciliation budgétaire, une prolongation complète du TCJA pourrait accroître le déficit. En fin de compte, l’impact des baisses d'impôts sur la croissance dépendra surtout de la réaction des entreprises et des consommateurs, avec des implications potentielles pour l'inégalité des revenus.
Évaluer l'impact global sur les portefeuilles
Le programme politique de Donald Trump présente un éventail complexe d'avantages potentiels qui ont clairement attiré l'attention des investisseurs, mais il n'est pas sans risques. Les propositions visent globalement à stimuler la croissance économique américaine qui devrait, selon nous, surpasser la croissance mondiale en 2025.
La déréglementation et la promesse d’une baisse des impôts renforceront la résilience de l'économie américaine. Cependant, dans son ensemble, le programme politique de Trump devrait s'avérer légèrement inflationniste ; s’il n’est pas calibré ou mis en œuvre de manière adaptée, il pourrait stimuler l'inflation, ce qui impliquerait une réponse robuste – et potentiellement dommageable – de la part de la politique monétaire.
Les perspectives de croissance et d'inflation laissent entrevoir la possibilité d'une pentification des courbes de taux accompagnée d'une hausse des taux d'intérêt neutres. Cette pentification pourrait toutefois être limitée par la réévaluation des baisses de taux à venir par les investisseurs. La déréglementation est globalement favorable à la croissance et pourrait donc soutenir les marchés du crédit ; dans le même temps, elle pourrait également entraîner une augmentation des émissions si l'activité des entreprises devait se redresser comme nous le prévoyons.
Dans la plupart des scénarios, les actions américaines semblent bien placées pour être les grandes gagnantes, que ce soit en base absolue ou relative. De leur côté, les actions européennes risquent de souffrir, en raison notamment des droits de douane. Le programme politique « America First » de Donald Trump devrait se traduire par un dollar fort et une surperformance des obligations non américaines par rapport aux bons du Trésor américain, reflétant ainsi la dynamique économique et politique plus large qui est en jeu.
Multi-Asset Solutions
L’équipe Multi-Asset Solutions de J.P. Morgan Asset Management gère plus de 269 milliards de dollars d’actifs et s’appuie sur une expertise d’envergure, ainsi que sur les capacités d’investissement de J.P. Morgan Asset Management. Notre recherche et nos analyses dans le domaine de l’allocation d’actifs constituent le fondement de notre processus de gestion. Ce dernier est soutenu par une équipe de recherche mondiale composée de plus de 20 professionnels dédiés et représentant plusieurs décennies d’expérience combinée dans un vaste champ de disciplines.
La grille d’allocation de Multi-Asset Solutions est le résultat d’un processus qui intègre :
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Au 30 juin 2024.