Avec une aide interne limitée à l'économie de la zone euro, une amélioration des facteurs externes pourrait s'avérer être la clé d'un retournement.
Tilmann Galler
Le début d'année 2018 s'annonçait plein de promesses et d’espoirs pour la croissance européenne. Alimentée par des conditions financières favorables et le recul du chômage, la reprise européenne semblait enfin prendre ses marques.
Pourtant, les statistiques économiques de la région se sont sensiblement détériorées depuis. Alors que ce manque de dynamisme s’installait, les investisseurs se sont lassés des prétextes apparemment sans fin justifiant des données moroses et la confiance à l'égard des actifs européens s’est dégradée. Avec peu de catalyseurs domestiques capables de déclencher un redressement, il faudrait peut-être un rebond de la demande du monde émergent pour redorer les perspectives de la région.
Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour la reprise européenne ?
Si l’on étudie de plus près le ralentissement, il en ressort que ce manque de vigueur s’explique en grande partie par les exportations nettes. Celles-ci ont contribué à hauteur de 1,4 point de pourcentage au taux de croissance du PIB réel annuel au quatrième trimestre 2017 ; en revanche, au troisième trimestre 2018, leur apport a été négatif. Les deux aspects, importations et exportations, ont contribué à la dégradation, dans la mesure où l’envolée des prix du pétrole sur les trois premiers trimestres de 2018 s’est traduite par une forte progression des importations tandis que dans le même temps, la croissance des exportations a stagné.
Étant donné que les exportations représentent environ la moitié du PIB de la zone euro, un fléchissement de la croissance mondiale s'avère toujours un lourd handicap. La demande des marchés émergents notamment s’est modérée. En novembre, les exportations vers la Turquie se sont contractées d’un tiers en glissement annuel en raison de la crise de confiance qui a abouti à un tassement de la croissance et à la dépréciation de la monnaie, et la progression des exportations vers l’Asie a marqué le pas sur fond de ralentissement de l'économie chinoise.
Les facteurs extérieurs ne sont cependant pas les seuls responsables : les facteurs domestiques ont aussi leur part de responsabilité.
En Italie, le différend entre la Commission européenne et le nouveau gouvernement de coalition au sujet de sa proposition de budget a fait s’envoler les coûts d’emprunt vers des plus hauts de plusieurs années et a resserré les conditions de crédit. La période prolongée d’incertitude politique a laissé des traces sur l’économie italienne, qui est techniquement entrée en récession.
En France, les manifestations des gilets jaunes ont provoqué d’importantes perturbations, entraînant une contraction de l'indice composite français des directeurs d’achat fin 2018. Le mouvement de protestation semble désormais s’émousser et les chiffres de la croissance pour le quatrième trimestre 2018 ont étonnamment bien résisté. Le populisme reste néanmoins un risque en Europe, et les élections du Parlement européen en mai pourraient bien montrer que les partis eurosceptiques continuent de rallier de nombreux suffrages.
Graphique 1 : Immatriculations de voitures neuves en Allemagne
Source : KBA, Refinitiv Datastream, J.P. Morgan Asset Management. La performance passée n’est pas un indicateur fiable des résultats actuels et futurs. Données au 31 janvier 2019.
En Allemagne, le secteur automobile a peiné face aux nouvelles réglementations sur les tests d’émission, ce qui a freiné la production industrielle et lourdement pesé sur la croissance. Après un quatrième trimestre 2018 difficile, la production automobile allemande semble désormais repartir (Graphique 1), ce qui pourrait doper la croissance à court terme.
Graphique 2 : Consommation de la zone euro et prix du brent
Évolution en glissement trimestriel exprimée en % (éch. gauche) ; prix du pétrole en euros (éch. droite inversée)
Source : Bloomberg, Eurostat, Refinitiv Datastream, J.P. Morgan Asset Management. La performance passée n’est pas un indicateur fiable des résultats actuels et futurs. Guide des marchés - Europe. Données au 31 janvier 2019.
Quels pourraient être les catalyseurs d’un redressement ?
La consommation en Europe bénéficie toujours de fondamentaux favorables dans la mesure où le taux de chômage continue de baisser et où les salaires augmentent. Par ailleurs, les prix du pétrole ont sensiblement diminué depuis octobre dernier, faisant office de réduction significative des frais pour les ménages européens. Sur un plan historique, la région présente une relation inverse étroite entre le prix du pétrole et la consommation, laissant présager que la récente évolution du pétrole pourrait contribuer à stimuler la consommation (voir Graphique 2). Le repli des prix du pétrole aidera également les entreprises européennes en allégeant les pressions exercées sur les coûts.
La politique monétaire devrait rester accommodante en 2019, ce qui maintiendra les taux des prêts à des niveaux très favorables. La Banque centrale européenne (BCE) a réitéré ses orientations prospectives concernant les taux d’intérêt en janvier et a par ailleurs reconnu que les risques à l’égard des perspectives s’étaient orientés à la baisse.
L’attention se porte rapidement sur ce que la BCE pourrait faire en faveur d’une nouvelle relance. À court terme, les mesures pourraient impliquer un nouveau soutien à la liquidité par le biais d’une deuxième série d’opérations de refinancement à long terme ciblées (Targeted Long Term Refinancing Operation II ou TLTRO II), un programme de 700 milliards d’euros lancé par la BCE en vue d’encourager les prêts de banques de la zone euro en faveur des sociétés non financières et des ménages en abaissant les coûts marginaux d’emprunt des banques. Les banques italiennes et espagnoles détiennent actuellement la plus grande partie des prêts (60 % du volume total).
Cette mesure commence à attirer de nouveau l'attention dans la mesure où ces prêts commenceront à arriver à échéance en juin 2020. Nous nous attendrions donc au minimum à ce que la BCE annonce une extension de son programme en vue de continuer à soutenir le secteur bancaire et l’économie.
Au-delà de cet apport de liquidités, la capacité de la BCE à stimuler davantage l’économie est limitée. Les taux directeurs sont déjà en territoire négatif. La BCE aura du mal à élargir l'assouplissement quantitatif car elle s'approche de la limite supérieure du montant de bunds allemands qu’elle est autorisée à acquérir. Les paramètres devront évoluer pour lui permettre d’acheter soit une part plus importante du marché allemand, soit davantage de dette d’autres pays, un sujet controversé sur le plan politique.
Au niveau budgétaire, on observe que des gouvernements évoluent vers des politiques progressivement plus souples, notamment en Italie et en France. Cependant, ces pays finiront par être freinés par leur ratio dette publique/PIB déjà élevé, s’établissant respectivement à 132 % et 99 % (contre une limite de 60 % fixée dans le Pacte de stabilité et de croissance de l’UE). L’Allemagne a les capacités budgétaires pour initier une relance importante, mais la volonté politique apparaît limitée.
Au vu de l’aide réduite pour l’économie de la zone euro venant de l’intérieur, une amélioration des facteurs extérieurs pourrait s'avérer essentielle pour que les producteurs et les consommateurs regagnent confiance. Le catalyseur indispensable à un changement de la dynamique économique pourrait également venir d’un Brexit doux, d’un relâchement des tensions commerciales ou d'un atterrissage en douceur de la Chine.
Si les deux premières options sont liées aux aléas de la politique, nous sommes plus confiants à l'égard de la troisième car la Chine poursuit l’assouplissement de sa politique monétaire et budgétaire pour doper son économie. En janvier, la People’s Bank of China a abaissé son ratio de réserves obligatoires de 100 points de base supplémentaires, injectant un montant net de 800 milliards de RMB (0,8 % du PIB nominal) dans l'économie chinoise. De nouveaux projets d'infrastructures ont aussi donné un coup de fouet aux investissements et Pékin continue de mettre en oeuvre des baisses d'impôts pour les entreprises comme pour les consommateurs.
Les valeurs de la zone euro pourraient mieux se tenir que l’économie
Les multiples éléments ayant contribué à un fléchissement en Europe, conjugués à l’absence d'un catalyseur clair de redressement, ont amené les investisseurs à faire preuve de méfiance à l’égard d'un investissement dans la région. Il convient néanmoins de rappeler qu’environ 50 % du chiffre d'affaires des sociétés européennes est réalisé en dehors de la région. En 2018, le contexte macroéconomique européen a continué de se détériorer, mais les sociétés sont quand même parvenues à atteindre une honorable croissance des résultats de 5 %. Au vu des perspectives économiques incertaines pour la région, les investisseurs devraient rester prudents à court terme. Cependant, compte tenu de la dimension internationale des sociétés européennes et de l'économie au sens large de la zone euro, l’orientation du contexte mondial de la croissance aura une grande influence sur la performance future. Les investisseurs resteront probablement à l'écart de l’Europe jusqu’à ce qu’ils aient la promesse d'une reprise durable de la croissance. Si les données macroéconomiques devaient toutefois s’améliorer, nous pourrions observer un revirement de situation pour les actions européennes, étant donné que de nombreuses mauvaises nouvelles se reflètent dans les cours.