Il est indispensable de comprendre de quelle manière une politique gouvernementale liée aux facteurs ESG peut influencer les résultats des entreprises afin de valoriser correctement les titres des sociétés.
Karen Ward
Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) constituent des mesures non traditionnelles qui peuvent affecter la performance d’une entreprise.
Pourquoi les investisseurs s’intéressent-ils de plus en plus aux facteurs ESG ?
Les États se sont engagés à atteindre des objectifs d'émissions de carbone. L’Accord de Paris a été signé en 2016 par 196 pays dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques afin de lutter contre le changement climatique et d'éviter que les températures mondiales n’augmentent de plus de 1,5 °C d’ici 2030. L’Illustration 1 montre que de nombreux États sont bien loin de cet objectif. La barre grise représente les émissions totales estimées sur la base des politiques actuellement menées par le pays / la région et la barre verte représente l’objectif d’émissions sur la base des Contributions déterminées au niveau national (CDN) inclus dans l’Accord de Paris. En guise de référence, le point bleu illustre les émissions de carbone du pays / de la région en 2017 (dernières données disponibles pour l’année complète). Dans certains pays, les politiques gouvernementales tentent de se remettre rapidement sur les rails. On voit alors apparaître des initiatives comme des dépenses pour des projets favorables à l’environnement ou des taxes et réglementations visant à influencer les comportements.
Illustration 1 : Émissions de carbone par pays et / ou région sur la base des projections actuelles des politiques par rapport au niveau d'émissions permettant de respecter l’accord de Paris d’ici 2030.
Actifs d’investissement durable global par région
Source : Climate Action Global Tracker Proxy Preview, J.P. Morgan Asset Management. Données au 29 août 2019.
Illustration 2 : Résolutions des actionnaires d’entreprises américaines concernant le changement climatique
Votées ou en attente par année
Source : Climate Action Global Tracker Proxy Preview, J.P. Morgan Asset Management. Données au 29 août 2019.
Nombre de ces nouvelles réglementations sont axées sur le rôle que devraient jouer les marchés de capitaux. En mars 2019, le Parlement et le Conseil de l’UE ont mis en place de nouvelles réglementations pour assurer cohérence, pratiques de divulgation et transparence des acteurs des marchés financiers au sein des États membres de l’UE. Cet ensemble de réglementations définit comment les risques et les opportunités relatifs aux critères ESG doivent être pris en compte dans leurs processus; dans le cadre de leur devoir d’agir dans le meilleur intérêt de leurs clients.
Des détails complémentaires ont été publiés en juin 2019 avec les recommandations finales du groupe d’experts techniques de la Commission européenne au sujet d’une taxonomie des activités durables sur le plan écologique. Le rapport principal présente les critères techniques de sélection de 67 activités économiques pouvant apporter une contribution significative au changement climatique et à son atténuation. Les gestionnaires d’actifs qui commercialisent des produits présentés comme « durables » sur le plan écologique devront expliquer et publier les informations justifiant leur lien avec ces 67 activités.
Le gouvernement américain actuel s’est retiré de l’Accord de Paris, mais cela ne signifie pas nécessairement que le changement climatique ne compte pas parmi les priorités des États-Unis. L’Illustration 2 montre que le nombre de résolutions d’actionnaires américains présentant le changement climatique comme thème central est en hausse constante. La majorité des experts du climat s’accordent à dire que les dix à vingt prochaines années seront déterminantes pour limiter le changement climatique, nous anticipons une intensification des politiques gouvernementales à mesure que les menaces environnementales grandissent.
Outre le changement climatique, les thématiques sociales laissent également leur empreinte sur les politiques menées. L’un des corollaires de la lenteur de la croissance dans cette évolution est la morosité de la croissance des salaires réels, notamment pour les ménages à revenus faibles ou moyens. Nous considérons que les politiques sociales, par exemple la détermination du salaire minimum vital et les formations sur le lieu de travail, pourraient devenir une composante de plus en plus importante des politiques nationales de nombreux pays développés.
Par conséquent, il devient indispensable de comprendre de quelle manière une politique gouvernementale liée aux facteurs ESG influencera les résultats des entreprises afin de valoriser correctement les titres des sociétés.
Comportements sociaux
Les facteurs ESG influencent le comportement des consommateurs et des investisseurs. L’aversion récente pour le plastique à usage unique est un exemple de l’impact notable sur les consommateurs que peut avoir une prise de conscience accrue. Par ailleurs, les épargnants apprécient de voir leur épargne travailler en accord avec leurs valeurs sociales. Dans une enquête récente, 87 % des "millenials" ayant répondu pointaient l’importance des critères ESG dans leurs choix d’investissement.
Illustration 3 : Comment les données esg peuvent-elles être intégrées aux stratégies d’investissement ?
Source : J.P. Morgan Asset Management. Données au 29 août 2019.
Comment les critères esg peuvent-ils être intégrés aux décisions d’investissement ?
L’Illustration 3 issue de notre prochain Guide des marchés du quatrième trimestre montre les différentes manières dont les investisseurs peuvent tenir compte ou peuvent sélectionner les facteurs ESG dans leurs décisions d’investissement. Il s’agit des catégories de J.P. Morgan Asset Management visant à s’aligner sur les normes mondiales du secteur et autant que possible sur les réglementations potentielles.
L’intégration des critères ESG représente la catégorie la plus vaste et est définie comme « la prise en compte systématique et explicite des thématiques ESG dans les analyses et les décisions d’investissement ». Les investisseurs tiennent compte de ces facteurs pour leurs décisions d’investissement de la même manière qu’ils prendraient en considération d’autres variables classiques, par exemple la demande pour un produit, pouvant affecter les perspectives d’une entreprise. Il revient à l’investisseur de déterminer l’importance des facteurs ESG et si le prix d’un actif reflète ce risque supplémentaire.
Les stratégies ESG dédiées sont des processus d’investissement davantage basés sur des règles et qui peuvent investir dans des thèmes spécifiquement liés à la durabilité.
- Les stratégies d’exclusion appliquent des restrictions à la capacité d’un gestionnaire de fonds à acquérir des actifs liés à des secteurs comme l’armement, le tabac, l’extraction de charbon thermique ou de pétrole et de gaz non conventionnels, l’alcool et la pornographie. Il est également possible que les gestionnaires de fonds ne puissent investir que dans des entreprises qui ont signé le Pacte mondial des Nations Unies favorisant les politiques durables et socialement responsables.
- Les stratégies de biais positif excluent les secteurs cités ci-dessus pour ensuite favoriser les allocations de portefeuille aux titres avec les scores ESG les plus élevés. Les notes peuvent être attribuées en interne par les équipes d’investissement ou recueillies auprès de fournisseurs tiers spécialisés en recherche ESG.
- Les stratégies Best-in-class se basent sur des processus d’exclusion en classant les entreprises restantes dans l’univers d’investissement de leur secteur puis en sélectionnant les entreprises les plus durables d’un secteur donné. Cette démarche vise à favoriser les premières entreprises d’un secteur en matière d’ESG tout en évitant les biais de grands portefeuilles pour des secteurs davantage associés à des pratiques ESG solides ou de meilleures pratiques de divulgation.
- Les stratégies thématiques et à impact sont conçues en fonction d’objectifs de durabilité spécifiques.
L’Illustration 4 issue de notre prochain Guide des marchés du quatrième trimestre présente les actifs sous gestion des 400 premiers gestionnaires d’actifs. Nous estimons qu’environ 30,700 milliards de dollars (47 % du total des actifs sous gestion) sont liés à une forme d’intégration ESG ou à certains types de sélection par exclusion. Toutefois, moins de 10,000 milliards de dollars (12 % du total des actifs sous gestion) sont investis dans des stratégies d’investissement dédiées.
Illustration 4 : Le montant des actifs sous gestion dans l’univers global de l’investissement durable considérés gérés de manière durable
Source : GSIA – Global Sustainable Investment Alliance (GSIA), IPE, J.P. Morgan Asset Management. Les actifs sous gestion considérés être gérés de manière durable selon la définition de la GSIA. Les stratégies durables dédiées comprennent le biais positif, les best-in-class, la sélection basée sur des normes, l’investissement sur le thème de la durabilité et l’investissement à impact. Données au 29 août 2019.
L’Illustration 5 illustre la croissance des deux dernières années par région. Si l’Europe demeure historiquement au premier rang de l’inclusion ESG dans les procédés d’investissements, la croissance au Japon et aux États-Unis est remarquable.
Illustration 5 : Actifs sous gestion d’investissement durable
Croissance entre 2016-2018
Source : GSIA – Global Sustainable Investment Alliance, EPI, J.P. Morgan Asset Management. Données au 29 août 2019.
Comment les actifs sont-ils notés sur la base de facteurs ESG ?
L’oeil des investisseurs se tournant toujours plus sur les critères ESG, les équipes de direction deviennent de plus en plus expérimentées dans l’exercice de communication de données sur la performance ESG. Aujourd’hui, 85 % des entreprises du S&P 500 publient des chiffres sur les thématiques ESG contre 20 % en 2011.
L’influence et l’importance des agences de notation ESG ont également pris de l’ampleur. MSCI et Sustainalytics en sont les deux principales. Elles analysent les pratiques commerciales liées aux critères ESG de milliers d’entreprises dans le monde et proposent des études, des documents de référence en matière de matérialité (materiality frameworks) et une référence permettant de comparer les secteurs et les entreprises, ainsi qu’un score global.
Il convient d’observer que les notes ESG d’agences individuelles peuvent significativement varier (la corrélation entre leurs scores est d’à peine 0,53). Cela s’explique par un ensemble de facteurs, notamment la méthodologie, la quantité et la qualité de données sous-jacentes, l’interprétation subjective des publications ESG d’une entreprise et l’absence de normalisation. En conséquence, les scores d’agences de notation peuvent être biaisés en faveur des pays, secteurs ou entreprises qui font preuve d’une meilleure communication.
Certaines sociétés de gestion d’actifs conçoivent leurs propres outils pour élaborer des systèmes de notation internes, ce qui peut expliquer ces limites.
Synthèse
Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance deviennent une priorité de plus en plus pressante pour les États et les épargnants. Les investisseurs disposent d’une variété de stratégies, allant de l’intégration ESG où les facteurs ESG sont pris en compte en parallèle des paramètres classiques dans le processus d’investissement, jusqu’à l’investissement à impact où un objectif spécifique de durabilité se trouve au coeur du processus d’investissement. Tout au moins, il est nécessaire de comprendre l'évolution des préférences et des politiques pour atténuer les risques. De plus en plus, les épargnants visent plus que des rendements financiers : ils souhaitent être acteurs du changement.