silver pipes

Les élections américaines provoquent souvent des réverbérations à court terme sur les actions des marchés émergents, contrairement aux changements d’orientation nettement plus percutants, surtout s’ils donnent de la vigueur au dollar américain. Cela dit, ce sont les bénéfices et les dividendes qui, en fin de compte, déterminent les rendements à long terme.

Les actions des marchés émergents (MÉ) sont en hausse de 8 % depuis le début de l’année, grâce au rebond des actions chinoises et aux perspectives structurelles à Taïwan, en Inde et en Corée (1). À l’approche des élections américaines, les changements potentiels de la politique américaine constituent une préoccupation majeure pour les investisseurs mondiaux. Généralement, l’indice MSCI Marchés émergents enregistre des rendements positifs dans les 100 premiers jours suivant les élections. Cela s’explique par l’aversion des marchés pour l’incertitude presque toujours apaisée après le scrutin. Toutefois, si les actions des marchés émergents répondent habituellement favorablement aux élections américaines, elles réagissent davantage aux changements d’orientation à long terme.

Voici certains enjeux politiques clés pour les marchés émergents:

  1. Commerce: les droits de douane imposés par l’administration Trump en 2018-2019 sur 370 G$ de produits chinois ont été largement maintenus sous l’ère Biden/Harris, indiquant un consensus bipartite ferme à l’égard de la Chine. D’ailleurs, les États-Unis ont récemment ajouté une surtaxe sur certains produits chinois, dont les véhicules électriques. Dans ses documents de campagne, M. Trump indique qu’il envisage d’instaurer une barrière tarifaire contre les importations chinoises et même d’y imposer des droits de douane pouvant aller jusqu’à 60%. En fait, le protectionnisme contre la Chine et la diversification de la chaîne d’approvisionnement sont susceptibles de rester, quelle que soit l’issue des élections. Pour les marchés émergents, cela se traduira probablement par une volatilité accrue des devises et des marchés, surtout en Chine et au Mexique. Depuis les années 2018-2019, le yuan a perdu 7% de sa valeur, les deux tiers de ce recul étant imputable à la guerre commerciale selon le NBER1. En revanche, les fabricants à faibles coûts des marchés émergents qui entretiennent des liens étroits avec les États-Unis pourraient profiter de la réorientation de la production à long terme. Pour le Mexique, la volatilité à court terme pourrait s’intensifier si M. Trump exprime des craintes au sujet de la révision de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) du second semestre de 2026 ou fait pression pour réduire les investissements chinois. À long terme, c’est la délocalisation à proximité qui est l’enjeu de l’heure pour le Mexique.
  2. Immigration: L’administration Trump a instauré des contrôles stricts, et, dans le cadre de sa campagne de 2024, M. Trump a promis la mise en place de mesures encore plus sévères. L’administration Biden/Harris a renversé de nombreuses mesures de dissuasion de l’administration précédente. Or, ces mesures viennent d’être resserrées vu la hausse du flux migratoire vers les États-Unis. Si le durcissement de la politique d’immigration ne devrait avoir que peu d’effet sur les actions des marchés émergents, il pourrait en revanche réduire les remises migratoires. En 2022, les marchés émergents ont reçu 78% de ces envois de fonds, tandis que le Mexique en a récolté une somme record de 63 G$ en 2023, favorisant ainsi l’appréciation du peso et la consommation intérieure.
  3. Politique industrielle: des lois telles que la CHIPS and Science Act, la Inflation Reduction Act (IRA) et la Infrastructure Investment and Jobs Act (IIJA) ont fait converger plus de 135 G$ vers la recherche nationale et la fabrication de semiconducteurs aux États-Unis. Les deux partis cherchent ainsi à stimuler la fabrication de semiconducteurs au pays et à briser le monopole de la Chine. Par contre, certaines politiques pourraient être modifiées si les républicains remportaient les élections. En délaissant la Chine, les États-Unis devront certainement renforcer leur relation avec leurs alliés – comme Taïwan et la Corée (22% et 21% de la production mondiale de semiconducteurs, respectivement, en 2020) – et les pays de l’Amérique du Sud (56% de la production mondiale de lithium et 30% de celle de cuivre, en 2022), afin de répondre à la demande et de s’approvisionner en minéraux critiques pour alimenter la nouvelle production. L’accélération de la fabrication des semiconducteurs américains pourrait réduire la demande pour les produits d’entreprises des marchés émergents, au fil du temps.
  4. Politique budgétaire/monétaire: les baisses de taux prévues par la Fed à partir de septembre 2024 devraient donner un coup de pouce aux actions des marchés émergents (2). Sur le plan de la politique budgétaire (3), le déficit s’est nettement alourdi sous les deux administrations, même en excluant les dépenses liées à la pandémie de COVID-19. On ne sait pas si la position budgétaire de la candidate démocrate s’éloignera de celle de M. Biden. Par contre, le déficit continuera probablement à augmenter. Le maintien des réductions d’imlôts de 2017 pourrait alourdir la dette américaine de quelque 4 T$ au cours des dix prochaines années. Ce fardeau et la pression sur les taux à long terme qui en résulte pourraient renforcer le dollar et nuire aux actions des marchés émergents.

Les élections américaines provoquent souvent des réverbérations à court terme sur les actions des marchés émergents, contrairement aux changements d’orientation nettement plus percutants, surtout s’ils donnent de la vigueur au dollar américain. Bien que l’incidence du taux de change explique 20% des rendements annuels des actions des marchés émergents des 15 dernières années, ce sont les bénéfices et les dividendes qui déterminent en fin de compte les rendements à long terme, 47% et 28%, respectivement. Par conséquent, si la gestion du risque publique et de change est essentielle, les investisseurs des pays émergents ont tout intérêt à adopter une perspective à long terme, en se concentrant sur les tendances structurelles, telles que l’expansion de la classe moyenne et l’innovation technologique, plus susceptibles de générer des rendements à long terme.

1Dans quelle mesure les tarifs sont-ils compensés par les taux de change?, Olivier Jeanne et Jeongwon Son, National Bureau of Economic Research..

09hz242407152045